La sortie du syndicat des avocats du Burkina à propos du sort fait à leur confrère l'ex bâtonnier Mamadou Traoré, par certains de ses passages rejoint et corrobore ce que nous n'avons de cesse de dire à propos de cette instruction du juge militaire. Nous ne sommes pas spécialiste pour autant. Mais juste un observateur attentif de la chose judiciaire et parce que les droits humains sont le fondement de toute notre action.
Nous nous sommes régulièrement inquiété de ce que l'instruction par certains aspects ignorait le respect des règles. L'exemple que nous avions avancée était en rapport avec le cas précis de notre consoeur Caroline Yoda. Son crime c'est d'avoir dans un reportage le 18 septembre osé donner la parole "aux pro-pusch". Pour les "résistants" qui ont beaucoup instrumentalisé la justice militaire ce simple fait constituait un crime de "collusion avec les putschiste". Or c'est le B-A BA du travail de journaliste; donner la parole à tous les protagonistes .Dans l'ambiance inquisitoriale et de terreur de l'immédiat après putsch, personne ne pouvait dire mot au risque de se faire embastiller, le meilleur des cas (ça n'a toujours pas changé. Certains pensent continuer à terroriser ceux qui refusent de se taire en les menaçant de diffuser des choses compromettantes sur eux). Le pire des cas, sa maison était désignée à la vindicte populaire, à l'image du sort qui a été fait à Monsieur Natama Jean Baptiste, dont la maison est partie en feu.
Il est donc heureux que le syndicat des avocats burkinabè insiste sur l'impératif que " Les poursuites doivent absolument être exercées dans le strict respect des règles qui sont les seules gardiennes de tous, dans une République sérieuse". Si tous les mandats d'arrêts sont aujourd'hui cassés, c'est faute pour le juge militaire d'avoir cédé à l'euphorie, "le temps du populisme" dont a parlé le syndicat des avocats burkinabè.
Il faut donc que la loi reste et demeure la seule référence. L'ennemi de la justice reste toujours les lobby, même quand ils sont animés de bonne foi. Or dans cette instruction une certaine opinion a décidé d'en faire son affaire personnelle. C'est elle qui met en accusation, annonce les poursuites et les juges militaires exécutent conformément aux désidératas de cette opinion. L'insurrection et la résistance sont venus habiter "la justice militaire" avec tous les méfaits que l'on peut imaginer. Le juge n'est plus libre. Il n'est plus indépendant et c'est en cela que cette mise en garde du SYNAF vaut son pesant d'or " L’autorité juridictionnelle qui a peu de respect pour les règles de procédure ne rend service à rien ni à personne, hormis peut-être, le fait qu’elle se ferait passagèrement plaisir à elle-même, ce qui, semble-t-il, est totalement étranger à sa mission".
La preuve que la justice militaire n'inspire pas confiance, c'est le refus des supérieurs hiérarchiques des juges militaires de déférer devant eux. De prime à bord, cela peut paraître inacceptable. Dans une république, personne n'est au dessus de la loi. Les gradés n'ont donc pas raison de refuser de déférer au juge. Mais le problème ce sont les soupçons d'instrumentalisation du juge militaire. Les chefs militaires, en vérité, pas qu'ils se reprochent ou pas quelques choses, mais parce que une certaine opinion, la même, a déjà instruit contre eux, "un procès en collusion ou en couardise". Une convocation dans ces circonstances est absolument à charge, comme d'ailleurs l'ensemble de l'instruction militaire depuis le début. Une convocation devant le juge militaire c'est immanquablement "le mandat de dépôt à la clé". Comment est-ce possible? Quelle est cette instruction qui entend plus de soixante personnes et qui les dépose tous à la Maison d'arrêt?
Il n'y a même pas un, sur les soixante, dont le degré d'implication est moins grave que celle de Gilbert Diéndéré, le premier impliqué, pour écoper juste d'une inculpation avec liberté?
Le juge militaire est évidemment, le seul qui apprécie. Il ne s'agit pas de lui dénier cette prérogative. Mais est-ce possible que dans une instruction où le juge est conduit par les faits et rien que les faits avec comme boussole la loi, ce soit tout le monde en prison? Et l'exception qui confirme la règle. Qu'en fait-on? Non évidemment et c'est ce qui donne tout son sens à cette inquiétude du SYNAF qui appelle " (...) l’autorité de poursuite à demeurer dans les références de la loi, même quand celles-ci, par ces temps de populisme, semblent dicter autre chose que ce qui est souhaité par une certaine opinion. Le but de la procédure est de parvenir à une justice équitable où tout n’est pas permis ni à l’autorité judiciaire ni aux parties et, de son respect dépendra les résultats du procès, source de paix et d’équilibre de notre société juridique".
Nous qui avons l'habitude de nous frotter à cette justice militaire depuis 1999, au moment du jugement de l'affaire David Ouédraogo, nous constatons désespérément que cette juridiction ne s'améliore pas. Jusqu'au putsch de septembre 2015, elle était un instrument entre les mains de Blaise Compaoré et de son régime. Actuellement elle est sous l'obédience de ce que le SYNAF appelle avec à-propos "le temps du populisme". Et c'est très grave. Parce que sous Blaise Compaoré, elle était injuste, mais sous contrôle. Aujourd'hui, elle est toujours injuste, mais "en roue libre". Parce que lorsque le juge n'est pas sous la gouvernance de la loi, il devient un danger pour la société.
L'instrumentalisation du juge militaire accouche toujours des monstruosités. Le mandat d'arrêt contre Soro en est l'illustration. Une simple concertation d'opportunité aurait permis de prendre la meilleure décision dans l'intérêt supérieur de la nation et non juste pour que "le juge se fasse plaisir" en affichant le scalp du PAN ivoirien à son tableau de chasse.
Autre illustration; dans le procès du putsch "Naon-Ouali" de 2003, le juge militaire, contre les règles de procédure avait inculpé Me Prosper Farama, pour "atteinte au secret de l'instruction", parce que le juge militaire le soupçonnait de filer des informations au journal L'Evénement. Il s'est révélé par la suite qu'il en était rien. En son temps, cependant, le juge militaire avait la main moins leste. Me Prosper Farama avait été inculpé mais laissé libre. Il n'empêche c'était le fait du politique. Aujourd'hui, ce n'est plus le politique c'est le monstrueux "temps du populisme". Ce populisme qui se proclame la "vertu incarnée" et qui pille les caisses de l'Etat.
Il faut craindre que la justice militaire, aujourd'hui décriée de toute part, ne se relève pas de cette instruction. De toute façon son existence jurait avec l'Etat de droit. C'est sera ainsi, "la salutaire faute d'appréciation".
NAB