La lutte contre les injustices sociales et l’impunité est l’un des chantiers les plus sensibles sur lesquels les Burkinabè attendent le nouveau président. En matière de justice, à l’issue des réformes opérées par la transition en 2015, le pouvoir exécutif officiellement déconnecté de la justice.
En effet, le président du Faso ne préside plus le Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Par contre, la justice militaire n’est pas encore indépendante du ministre de la défense. La posture du nouveau président a été, dès son installation au pouvoir, d’affirmer sa volonté de respecter la séparation des pouvoirs. Ce qui signifie qu’il n’est pas redevable sur les questions judiciaires.
Les dossiers de crimes de sang et de crimes économiques sont entre les mains de la justice et suivent leur cours. Pour les crimes de sang, il s’agit des ceux commis par l’armée pendant l’insurrection les 30 et 31 octobre 2014 et pendant le putsch manqué de septembre 2015. II s’agit également d’autres crimes tels que l’assassinat du président Thomas Sankara en 1987, de l’étudiant Dabo Boukary en 1990 et du journaliste Norbert Zongo en 1998. Quant aux crimes économiques, ils concernent les actes de corruption commis pendant le régime Compaoré. Le président Kaboré a été accusé d’interférence dans les affaires judiciaires dans le cas du mandat d’arrêt lancé par la justice militaire contre Guillaume Soro, président du parlement ivoirien.
Guillaume Soro est en effet accusé de complicité dans le putsch manqué du général Diendéré en septembre 2015. Sur demande du gouvernement, la Cour de cassation avait annulé en avril ce mandat d’arrêt ; et le président Kaboré a limogé le commissaire du gouvernement près le tribunal militaire en mai.[6] En outre, les propos tenus par le président Kaboré sur l’indépendance des juges ont été jugés alarmants par la société civile. Il avait affirmé publiquement que « si vous avez un Etat dans lequel la justice est son propre patron, cela peut créer beaucoup de problèmes ». Cette déclaration a en effet suscité la vive réprobation du Balai citoyen.[7]
Cette première année de mandat du président Kaboré a été également émaillée par la grève des magistrats qui ont exigé l’opérationnalisation des réformes adoptées sous la transition. Le président Kaboré a pris en compte leurs revendications, y compris l’amélioration de leurs conditions salariales. Le dénouement de cette crise n’a cependant pas réglé de manière définitive la crise de confiance entre les deux pouvoirs.
Face aux injustices sociales, le nouveau pouvoir a pris de nombreuses mesures. On peut souligner, dans le secteur de l’éducation, le recrutement pour une année renouvelable de 4 200 jeunes diplômés sans emploi « pour combler les déficits en personnels enseignants aux niveaux du primaire, du post-primaire et du secondaire ». Le coût du programme pour 2016 est CFA 2,823,160,000 (US$ 4.5 million). Le ministère de la jeunesse a également lancé plusieurs programmes dans le cadre de l’insertion professionnelle et de la formation des jeunes. Il en est de même du ministère de l’action sociale et de la solidarité nationale qui a initié l’élaboration d’un registre unique des personnes vulnérables. En matière de santé, le nouveau pouvoir a lancé l’opération portant gratuité des soins pour les enfants de 0 à 5 ans et les femmes enceintes dans les centres de santé publics. La récente grève des agents de santé attire cependant l’attention sur les problèmes graves qui minent ce secteur sensible.
Le parlement burkinabè s’est aussi intéressé aux questions sociales. Il a réalisé deux enquêtes parlementaires, l’une sur la délivrance des permis miniers et l’autre sur la gestion foncière. Cette dernière question est très sensible au sein des populations notamment les plus vulnérables. Depuis des années en effet, l’accès au foncier urbain fait l’objet de gestion opaque de la part des autorités nationales et locales. Les populations pauvres arrivent difficilement à accéder aux parcelles dans les centres urbains. Les actes de corruption et l’abus ont été dénoncés par le rapport d’enquête parlementaire. Le parlement a recommandé que toutes les parcelles illégalement attribuées soient retirées et réattribuées. Le ministère de l’habitat et de l’urbanisme a par la suite lancé une vaste opération d’attribution de parcelles par tirage au sort.[8] A Ouagadougou, sur un total de 37 367 demandes enregistrées, ce sont 421 personnes qui ont été retenues le 15 novembre 2016.[9]
Il est ainsi clair que la réduction des injustices sociales a été un des chantiers majeurs pour cette première année de présidence Kaboré. Cette politique sociale ne peut porter ses fruits qu’à condition qu’elle s’attaque aux problèmes structurels, ce qui dépendra largement de sa capacité à mobiliser les ressources et à redynamiser l’économie nationale.
Par Dr Abdoul Karim Saidou