Je tiens d’emblée à remercier le gouvernement de transition pour avoir permis d’aborder la question de réforme des forces armées nationales ; question qui constituait un tabou à une époque récente.
En effet, depuis l’installation de la commission de réforme par le Président de la transition, les avis affluent et convergent essentiellement sur l’exclusion définitive du militaire de la « chose politique ». D’où la nécessité pour moi de livrer mon analyse, qui devrait être considérée comme une modeste contribution pour l’édification d’une véritable Armée Républicaine.
Je précise que je n’ai pas la prétention de m’inscrire dans une dynamique d’éclaireur, encore moins de détenteur de la vérité absolue ; j’ai cependant l’obligation en tant que citoyen, soucieux de la promotion et du respect des valeurs démocratiques, de livrer mon appréhension sur un certain nombre de préoccupations à ce sujet et qui sont d’ailleurs les miennes.
En rappel, les Armées africaines ont toujours été au cœur de l’évolution socio-politique de leurs nations respectives et ont été orientées par des chefs d’Etat, qu’ils soient civils ou militaires vers une fonction politique, contrairement au principe de neutralité qui devrait les caractériser. Ce qui s’illustre dans la pratique par des actes qui les éloignent de leur vocation réelle. Malheureusement cette position et ce rôle deviennent de plus en plus ambigus dans un contexte de démocratisation des nations africaines : illustrations ayant été récemment faites par le comportement de l’ex Régiment de Sécurité Présidentielle au Burkina Faso et de celui de l’Armée burundaise dans la gestion du pouvoir d’État.
La volonté du peuple vers un encrage démocratique réel dans les pays africains a permis d’observer une évolution du rôle de ces Armées, passant ainsi des actions de coups d’Etat, qualifiées « anti-démocratique » à des coups d’Etat dits « démocratique et salvateur ». Ainsi, le coup d’Etat du défunt Général Robert GUEI en Côte d’Ivoire et celui du Commandant Djibo SALOU au Niger sont des exemples illustratifs.
Nous ne saurions cependant omettre le comportement républicain d’une certaine génération d’officiers, de sous-officiers et de militaires de rang pour faire échouer le coup d’état du 16 septembre au Burkina Faso, redorant ainsi l’image des Forces Armées Nationales.
En tant qu’institution de la République, la place et le rôle de l’Armée doivent être clairement spécifiés et enseignés à ces différents cadres : comme le disait un expert des questions démocratiques, « aucune République ne peut évoluer sereinement sans que cette place et ce rôle ne soient précisés et définis ».
Les Nations dites ``démocratiques`` ont conféré à leurs Armées, une place et un rôle afin de leur permettre de jouer pleinement leurs missions régaliennes pour l’intérêt GENERAL ; mission axée sur la nécessité pour l’Armée d’être subordonnée à la société, et non d’être un acteur, ne servant que ses propres intérêts et objectifs. C’est ainsi qu’aux États-Unis d’Amérique, la place de l’autorité militaire est sa subordination à l’autorité politique. Il en est de même en France. Ce qui suppose que le politique assume la pleine responsabilité des conséquences résultantes des missions qu’il aurait décidées et commandées pour le militaire ; ce, dans l’intérêt suprême de la Nation, avec au préalable la caution de leurs institutions parlementaires respectives.
En terme claire, le concept de la subordination sous-entend qu’aucune opération militaire ne peut échapper à l’autorité politique qui doit en être l’ordonnateur tout en privilégiant l’intérêt de la Nation. Il ne doit en aucun cas être considéré comme une dévalorisation de l’autorité militaire mais plutôt une consolidation des responsabilités respectives.
Bien que jouissant d’une considérable autonomie d’organisation pour déterminer les opérations qui sont indispensables à l’atteinte des objectifs de politique fixés par les autorités civiles, l’Armée doit être dans une certaine dynamique et logique qui puissent rythmer avec les objectifs politiques de l’autorité civile pour le bien de la Nation.
Pour revenir aux avis qui affluent et convergent essentiellement sur l’exclusion définitive du militaire de la « chose politique » au Burkina Faso, un certain nombre de préoccupations m’interpellent et posent le problème du schéma qui pourrait être envisagé pour que le principe de neutralité politique, vivement souhaité par ces avis et commentaires soit respecté ; d’où la nécessité de faire la différence fondamentale entre ce principe de neutralité politique et celui de la neutralité idéologique.
Tout compte fait, la notion de bonne gouvernance dans les Forces Armées Nationales (FAN) doit être considérée comme un sacerdoce par les premiers responsables de cette institution. Par conséquent, la commission mise en place doit s’y attarder bien que sa composition soit pour moi, loin de prendre en compte les préoccupations dites essentielles de toutes les entités qui composent l’institution militaire.
Il faut retenir que le corolaire immédiat de ce déficit de bonne gouvernance dans les FAN est la démoralisation de la troupe à travers des admissions à la retraite anticipée, des prises de disponibilités, des positions de détachement, des démissions, des désertions et surtout l’inefficacité professionnelle.
En effet, le concept de gouvernance au sein des FAN s’illustre essentiellement de nos jours par :
le manque de transparence dans la gestion des dépenses militaires ;
l’absence de concertation dans la prise de certaines décisions en interne ;
le favoritisme dans la promotion des Hommes ;
la protection de certains Homme par le « commandement »malgré la preuve de leur culpabilité dans des actes et faits qui déshonorent l’éthique professionnelle ;
l’admission par coaptation dans les écoles de formations ;
l’ « acte de commandement » pour tenter de justifier tout ce qui serait inexplicable aux yeux de la troupe, la muselant ainsi afin qu’elle garde toujours ce sobriquet de « grande muette ».
la promotion des Hommes sans critères objectifs, bref l’assujettissement des Hommes à des chefs militaires, se disant « faiseurs de sous-officiers supérieurs, d’officiers et décideurs de carrière ».
Cependant, pour éviter que les mouvements d’humeur de la troupe, liés à la mal gouvernance, ne prennent en otages les institutions de la République, la notion de la bonne gouvernance doit être un impératif dans cette institution. Ce qui permettra à l’Etat de ne plus subir les conséquences administratives et judiciaires du comportement de certains responsables qui refusent résolument d’appliquer ce principe élémentaire mais fondamental de bonne gouvernance.
Au regard de ces préoccupations, la commission de réforme doit envisager de se pencher sérieusement sur les points suivants qui me paraissent importants :
mettre à l’écart certains officiers supérieurs dont la présence dans la chaîne de commandement constitue une véritable entrave en la mise en œuvre et en la promotion des valeurs de la bonne gouvernance ;
prendre en compte la rupture intergénérationnelle à travers certaines pratiques, nécessitant alors de responsabiliser les jeunes officiers dans la chaîne de commandement et de décision militaire, ce à travers des critères objectifs ;
assurer la conceptualisation de la notion de contrôle démocratique, définie comme les normes et les principes régissant les relations entre les forces armées et la société : les forces armées étant subordonnées à des autorités démocratiquement élues, elles doivent alors être soumises au contrôle du pouvoir judiciaire ainsi qu’à celui des médias et des organisations civiles.
créer une voie hiérarchique efficace au sein de l’Armée pour veiller à ce que l’institution militaire rende des comptes au peuple et à ses institutions de contrôle, encourageant de ce fait le respect de toutes les lois et réglementations pertinentes, tout en cherchant à promouvoir le professionnalisme qui ferait resurgir certaines notions de fierté militaire telles que celle de l’éthique, du sacrifice, du patriotisme et de l’héroïsme.
sensibiliser et former le personnel des forces armées sur des concepts et des thématiques, essentiels à la création d’un environnement démocratique réel ;
faire la promotion objective du personnel, promotion basée essentiellement sur les valeurs intellectuelles, morales et physiques des Hommes mais aussi sur les besoins des forces armées ;
valoriser les ressources en interne par l’élaboration de textes clairs sur les modalités et les conditions d’admission du personnel non officiers et d’un certain niveau d’études supérieurs dans les grandes écoles militaires ; un quota pourrait être envisagé et complété par les concours d’entrée directs dans ces-dites écoles.
instaurer un concours professionnel pour la promotion des officiers d’un galon à un autres, ce qui revalorisera ainsi leur mise à niveau physique et intellectuel ;
privilégier la promotion des médecins, pharmaciens, chirurgiens-dentistes de troupe à des postes de responsabilités au niveau des Services de Santé des Armées par rapport à ceux ayant opté pour une carrière hospitalo-universitaire ;
créer un cadre de concertation permanente entre les différentes catégories de personnels militaires ;
renforcer le contrôle de la neutralité idéologique permettant ainsi à l’Armée d’observer le principe d’allégeance à la Nation et non à des individus ou à une idéologie.
améliorer le contenu de certains modules de formation tel que les notions de devoirs et de responsabilités des militaires envers leur pays et leurs citoyens, le sens de l’obligation à servir la Nation le mieux que possible.
créer un comité d’éthique, de suivi et d’évaluation de la mise en œuvre des conclusions du rapport qui sera produit par la commission de réforme et entériné par les structures compétentes.
Pour conclure mon propos il faut retenir que la réforme des forces armées est un impératif qui va de pair avec les exigences du moment. Cela impose aux différentes autorités politiques, d’engager des réformes objectives pour permettre à notre Armée Nationale de jouer pleinement son rôle dans un contexte de défis sécuritaire, pour lequel la recherche permanente de l’efficacité des Hommes est indiscutable.
Ainsi, l’application des principes élémentaires de la bonne gouvernance et la normalisation de la relation entre l’Armée et le peuple dans le contexte démocratique est fortement recommandée pour permettre à l’Armée et ce à travers ses Hommes d’être en harmonie avec les préoccupations du peuple : telle est la condition à notre entendement pour l’avènement de la démocratie et de l’État de droit ; ce qui y va de la création d’institutions fortes dont les valeurs républicaines seront protégées par nos vaillants soldats.
Lejuste DEMO
Email : Lejustedemo@yahoo.com
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