L’ancien président burkinabè, Michel Kafando, était à la tête d’une mission d’observation de l’OIF dans le cadre du double scrutin présidentiel et législatif au Niger. Malgré son agenda chargé, il a accordé une interview à deux organes de presse burkinabè, dont l’AIB, le mardi 23 février 2016. Dans cet entretien, il revient sur le bilan «mitigé» de treize mois de gestion de la Transition, ses sentiments sur les élections nigériennes et les relations diplomatiques actuelles entre le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire. Question (Q) : La Transition burkinabè a été applaudie à travers le monde malgré les multiples difficultés ; quels sont vos sentiments aujourd’hui après cette période ? Réponse (R) : Vous avez parlé d’épreuves ! Si nous avons pu venir à bout de ces épreuves-là, je peux dire que le premier sentiment post-transition que j’ai, c’est un sentiment de satisfaction, parce que nous avions la responsabilité, lorsque nous avons pris en charge la mission après l’insurrection, de conduire notre pays à bon port en essayant de faire en sorte que nous puissions arriver à encrer définitivement la vraie démocratie au Burkina Faso. Il y a eu beaucoup d’épreuves et de difficultés, mais nous avons pu braver toutes ces difficultés et au final nous avons pu organiser des élections crédibles qui ont été saluées par tous. C’est ça ma grande satisfaction. Mais ma satisfaction aussi, il faut que je le souligne, c’est de voir qu’à l’occasion de cette transition, le peuple burkinabè et surtout la jeunesse burkinabè a pris conscience qu’il fallait se mettre debout, se battre pour préserver l’indépendance de ce pays, quand on l’aime. Donc, je garde un souvenir empreint de fierté pour ce que cette jeunesse a fait pour nous aider à aller jusqu’au bout de la transition. De façon générale, j’ai été marqué par l’adhésion de tous ceux qui ont compris que le programme de la Transition était de faire en sorte qu’il y ait une transformation fondamentale au Burkina Faso. : Avez-vous des regrets ? : Des regrets, oui. Parce que vous savez, quand on s’embarque comme ça dans un programme politique, si on n’a pas pu accomplir entièrement ce programme, on a des regrets. Le principal regret, c’est de n’avoir pas vraiment eu le temps de mettre en œuvre la réconciliation nationale. Parce que c’était aussi l’une des exigences de la Transition à savoir, réconcilier le peuple avec lui-même, compte tenu de ce que notre pays a connu comme difficultés dans le passé, faire en sorte que les gens se retrouvent, s’entendent, se réconcilient et se pardonnent. Ça, c’était un grand pan de la Transition que nous n’avons pas pu satisfaire. C’est un peu le regret. Le regret aussi c’est de n’avoir pas pu faire une Constitution digne de ce nom pour ouvrir un peu la route vers la Ve République. Mais de tout cela, je crois que ceux qui nous ont remplacés auront à cœur de remplir ce programme que nous n’avons pas pu conduire à bout. : Quels étaient vos rapports avec votre Premier ministre, Yacouba Isaac Zida ? : Dès que nous sommes arrivés à la Transition, il y a eu tellement de supputations. Moi, quelquefois j’en riais parce qu’entre ce que les gens pensaient et la réalité, vraiment, nous étions à une grande distance, un grand fossé. Avec le Premier ministre Zida, nous nous sommes toujours entendus. Vraiment nous nous sommes toujours entendus. Et si je vous dis que durant les treize mois de notre cohabitation, il n’y a jamais eu de divergence ouverte entre le Premier ministre et moi, vous allez dire que c’est faux, puisque vous pensez qu’il y a toujours eu divergences, or que c’est faux. Jamais, jamais. Pourquoi ? Parce que tout simplement le Premier ministre avait compris qu’il était le Premier ministre et qu’il y avait aussi un chef d’Etat. Et je dois dire aussi qu’il a toujours su se dire que j’avais plus d’expérience que lui, du fait simplement de l’écart d’âge et puis aussi de l’expérience administrative que j’aie par rapport à lui. Et lorsque les problèmes se posaient et qu’il fallait trancher, si je tranche le Premier ministre suit. : Comment avez-vous vécu votre prise d’otage par les éléments de l’ex-Régiment de sécurité présidentielle (RSP)? : Je dois vous dire que d’abord, nous tous nous savions que la Transition avait des problèmes. Il y avait comme cette épée de Damoclès au-dessus de la Transition qui est le RSP. J’ai personnellement toujours voulu par le dialogue évacuer les difficultés qu’on avait avec ce fameux Régiment pour ne pas arriver à une confrontation parce qu’une confrontation est toujours source de difficultés. Donc on savait que l’atmosphère entre le RSP et nous n’était pas sereine et à tout moment tout pouvait arriver. C’était seulement le moment qui n’était pas déterminé. Donc, quand le coup de force est arrivé, je n’ai pas été surpris. Et je n’ai pas été très alarmé, parce que j’étais sûr de mon bon droit. J’étais sûr aussi que le peuple n’allait pas rester sans réaction. Que la communauté internationale, qui avait compris et supporté la Transition n’allait pas rester sans réaction. Et vous avez vu. Au fond, ce que j’avais comme pressentiment s’est traduit en réalité. Le coup d’Etat a été mis à mal et a avorté parce qu’il y a eu une réaction populaire. C’est malheureux parce que cela a montré que vous avez toujours des gens qui défendent leurs intérêts personnels, qu’ils mettent au-dessus de l’intérêt général. Puisqu’en fait, le coup d’Etat c’était pour que le RSP garde la certitude qu’il ne sera jamais dissous. Ça, c’est des intérêts vraiment particuliers. Et je le regrette parce qu’au fond, nous pensons qu’avec l’insurrection tout le monde avait compris qu’il fallait aller dans le même sens, malheureusement ce n’était pas le cas. : Avez-vous, à un moment donné, regretté d’avoir accepté cette mission au regard des difficultés qui se présentaient à vous ? : Non ! Non ! Ça, c’est mal me … Lire la suite