L’audience de ce jour a donné l’impression d’une salle de classe dissipée, tenue par un professeur sous pression : le juge-président Cuno Tarfusser. Entre une fuite de noms embarrassante pour la CPI, deux accusés turbulents et un juge dissident, récit d’une journée déroutante.
Au moins quatre témoins censés être anonymes ont vu leurs noms révélés par mégarde lors d’un huis-clos de la salle d’audience. Trois d’entre eux sont des anciens généraux des Forces de défense et de sécurité (FDS) et un est une « personnalité politique et publique ivoirienne », qui faisaient partie de l’entourage de Laurent Gbagbo. Leurs noms ont très vite circulés sur les réseaux sociaux.
Eric MacDonald, qui s’adressait en audience privée à la Cour, évoquait ces noms pour parler justement de la sécurité des témoins et de leur anonymat. Ces noms avaient été révélés sous le sceau de la protection à toutes les parties « mais ne peuvent pas être révélés au public », entend-on dire l’adjoint de la procureure lors la séance, sur une vidéo diffusée en ligne.
Il parlait aussi des réseaux sociaux que le bureau de la procureure examine régulièrement pour des raisons de sécurité. Il a pointé du doigt « les blogueurs et journalistes improvisés » qui essayaient de découvrir quels noms se cachaient derrière les pseudonymes attribués aux témoins.
Dès lors, cette erreur manifeste de diffusion apparaît aussi grave pour la sécurité des témoins que pour la tenue de la procédure et laisse planer le doute sur la capacité de la Cour à garantir la confidentialité des témoins.
Petite dissidence chez les juges
L’audience de la journée avait commencé par le refus du juge-président Cuno Tarfusser d’autoriser la défense à faire appel de la décision qu’il avait rendue hier et qui proscrit l’utilisation de questions directives. Il estime que les arguments présentés hier n’étaient pas suffisamment convaincants pour autoriser un appel de la décision contestée.
Son collègue, le juge Geoffrey Henderson, a cependant exprimé un avis dissident estimant que la décision pourrait faire qu’on accepte « de manière implicite les éléments de preuve présentés » et que, finalement, elle pourrait éventuellement avoir une influence sur le procès. Pour lui, donner la possibilité de faire passer cette décision en appel aurait assuré à la Chambre qu’elle était « sur le droit chemin ».
Premier contre-interrogatoire
C’est l’avocat Andreas O'Shea qui a ensuite mené le contre-interrogatoire du premier témoin à charge du procès, le témoin P-547. L’homme, un ancien chauffeur routier, illettré, blessé lors de la marche vers la RTI du 16 décembre 2010, s’adresse toujours à la Cour en dioula.
La défense lui pose des questions sur les liens du témoin avec le Rassemblement des républicains (RDR) ainsi que sur ses connaissances de la rébellion.
L’homme, ancien militant du RDR, explique qu’il ne croit plus aux promesses. Des membres du RDR étaient venus le voir quelques jours après son retour de l’hôpital et avaient promis l’aider. « Ils ne sont jamais revenus », déplore-t-il.
Issiaka Diaby, le président du Collectif des victimes de Côte d’Ivoire (Cvci), était lui aussi venu pour des réunions de victimes et avait aussi promis de s’occuper de son cas et de l’aider : « Il n’a rien fait pour ma santé (…) Il faisait des promesses qu’il ne tenait pas ».Alors, même si la CPI lui promet de l’aide médicale pour sa jambe qui le fait encore souffrir, il n’y croit plus.
P-547 ne le cache pas : même s’il ne veut plus voter RDR car il est déçu, il aime Alassane Ouattara. « Je l’aime (…) car depuis qu’il est au pouvoir nous dormons en paix (…) Il cherche à rassembler les gens ».
L’avocat de Gbagbo lui demande alors comment s’est déroulé l’épisode du second tour, où il dit avoir vu des gendarmes vouloir prendre les urnes. Les questions de l’avocat sont dans un français approximatif et le récit du témoin est difficilement compréhensible.
Éléments perturbateurs
En écoutant l’homme parler, Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé rient de plus en plus. MacDonald, l’adjoint de la procureure, s’offusque et prend la parole : « Les accusés sont en train de rire et c’est quelque chose de grave (…) C’est un manque de respect ! »
Le juge Tarfusser explique qu’il n’avait pas vu. Avec autorité, il leur demande d’arrêter car « rien ne doit transparaitre (…) Ils ne peuvent pas afficher leur désaccord ». O’Shea tient à préciser que le témoin lui aussi riait. « Le témoin est soumis à un stress c’est normal qu’il ait des émotions, lui rétorque le juge. Les accusés doivent eux s’abstenir. »
Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé ne rient plus. Grondés, ils ne pipent plus mot.
Un air de classe d’école
Tarfusser, tel un enseignant face à une classe dissipée, en profite pour sermonner aussi le témoin après que celui-ci ait reproché à l’avocat de Gbagbo de poser des questions qui n’ont pas de sens : « M. le témoin, ce n’est pas à vous de trancher si une question est pertinente ou non ! »
L’incident passé, un autre survient. O’Schea, parlant de la rébellion, lui demande ce qu’il connaît des rebelles. Puis s’exclame : « C’est incroyable que vous ne connaissez pas les hommes armés qui soutenaient Ouattara ! »
Tarfusser est en colère : « C’est votre avis maître O’Shea, ce n’est pas une question ! »Le juge et l’accusation considèrent que l’avocat de Gbagbo présente sa thèse au témoin et non des faits.
P-547 raconte ensuite que lui et les gens à la marche n’avaient ni pancartes, ni armes. Il dit qu’ils étaient « mains nues » pour « faire changer d’avis Laurent Gbagbo » pour qu’il quitte le pouvoir.
Finalement, une vidéo de Guillaume Soro veut être présentée par la défense. Mais une nouvelle objection s’impose et le débat sur l’utilisation de cette vidéo commence. Mais il est tard. La discussion reprendra lundi.
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