Dans cet écrit, le communicateur Noël Pierre Windpanga SCIAN adresse son amertume au Dr Daouda Ferdinand Sigué, responsable de la clinique Saint-Jérémie (Trame d’accueil, Ouaga 2000). Il se plaint notamment d’une négligence qui aurait coûté la vie à son enfant.
Docteur, les bébés se meurent chez vous !
Docteur,
Mon épouse et moi avions identifié votre clinique pour son accouchement, mais nous ne savions pas que nous y trouverions un service mal rendu, une négligence notoire et un manque d’assistance qui auront pour conséquence, le décès de notre bébé.
Rappel des faits
Le 18 août passé, mon épouse a été admise dans votre clinique à cause d’un paludisme. Elle y a passé 3 jours de soins qui vont s’avérer inefficaces, puisque vous n’avez pas été capable de la guérir de son paludisme, malgré la dizaine de poches de sérum et la quinimax. Au contraire, son état a empiré et nous sommes revenus à la clinique, le lundi 22 août. Vous avez fait une échographie et l’avez interprétée en disant qu’elle perdait le liquide amniotique et qu’il fallait obligatoirement faire une césarienne. Après la première hospitalisation au cours de laquelle elle a reçu plus de 10 poches de sérum, elle a encore reçu plus de 10 sérums, au point que son bras s’est enflé parce que, sûrement, le sérum passait hors des veines. Elle était à la 37e semaine de sa grossesse (9 mois), ce qui veut dire que l’accouchement pouvait être provoqué par la voie basse.
Le 23 août, c’est le jour de la césarienne. L’intervention s’est déroulée autour de 14h. Vous m’avez appelé pour dire que l’intervention s’était bien passée et que le bébé était en réanimation, mais qu’il réagissait correctement. A cause du paludisme, mon épouse rejetait tout ce qu’elle mangeait, ce qui s’est ressenti sur le poids du bébé qui pesait 2 kg. Cependant, il n’était pas atteint du paludisme. Il a été réanimé en une minute et son APGAR à 1 mn était 8, à 5 mn, 9, et à 10 mn, 10. Vous avez aussi mentionné dans son carnet qu’il avait un retard de croissance. C’est dans cet état que vous nous avez remis le bébé et la pédiatre, Dr Sylvie Ouédraogo, a prescrit des produits et du biberon pour lui.
Dans la soirée, ma belle-mère s’inquiétait beaucoup pour le bébé car sa respiration était difficile et nous avons dû interpeller les médecins présents à la clinique. En sortant, j’ai intercepté une conversation des infirmiers qui se plaignaient qu’on les dérangeait par nos fréquentes interpellations à venir voir le bébé qui pleurait. Un infirmier est passé le voir et nous a rassurés que tout était normal et qu’il se portait bien. Nous avons demandé à ce que la pédiatre qui était là à son accouchement vienne également voir l’état du bébé. Mais celle-ci n’est pas venue. Ma belle-mère a veillé toute la nuit sur le bébé, dont la température ne faisait que baisser.
Le matin du 24 août, nous insistons encore pour que la pédiatre vienne voir le bébé car vous-même n’êtes pas venu voir l’état de l’enfant ni de sa mère après l’intervention que vous avez faite. Jointe au téléphone, la pédiatre m’a dit qu’elle ne comprend pas pourquoi je l’appelle, alors qu’elle a déjà informé les médecins qu’elle viendrait à 14h. J’ai insisté encore pour la rappeler parce que la température du bébé continuait à baisser. Elle m’a dit de bien le couvrir avec des habits chauds pour remonter sa température, ce qui fut fait, sans résultat. A 14h, comme prévu, la pédiatre arrive à la clinique, mais ne se préoccupe pas du bébé. Elle était dans son bureau pour consulter les nouveaux patients. Ma belle-mère interpelle de nouveau un médecin. Quand ce dernier arriva, il constata que le bébé était inerte. Il tira son pied, mais pas de réaction. Il prit immédiatement le bébé et l’emmena dans une salle de soins, puis appela la pédiatre qui vint immédiatement trouver que le bébé a manqué de force pour survivre. Et ce fut à ce moment-là que je vous vis rentrer également dans la salle de soins.
Quelque temps après, vous m’appelez pour me dire : «Mon ami, sois fort». Je répliquai, après un battement de cœur accéléré : «Y a-t-il un problème ?» «Oui, bébé nous a filés», avez-vous répondu. Après un temps lourd de silence, je vous ai fait savoir mon mécontentement parce que nous avons fait maintes interpellations qui sont restées sans réponses adéquates. Et vous avez commencé à vous justifier en disant que c’est la volonté de Dieu, parce que vous avez régulièrement des cas pareils mais vous arrivez à sauver ces bébés. Ensuite, vous enfoncez le clou en disant qu’il y avait un problème depuis le début de la grossesse, alors qu’aucune des 4 échographies, même celles faites dans votre clinique, n’avait révélé le moindre problème. Enfin, vous vous contredisez en affirmant que c’est à cause de ses 2 kg qu’il n’a pas survécu, alors que vous aviez dit auparavant que vous avez sauvé des enfants de moins de 2 kg.
Après cet entretien, et après avoir informé ma belle-mère, vous et votre pédiatre avez disparu de la clinique, nous laissant seuls avec un infirmier. Aucun soutien moral à la mère qui souffre des douleurs de la césarienne et pleure la disparition de son fils. Nous sommes restés à la clinique jusqu’au vendredi 26 août, mais vous n’êtes point venu nous réconforter. Qu’à cela ne tienne ! Mon épouse, rentrée le 26 au soir, avait de fortes douleurs au ventre, ce qui nous a encore ramenés dans votre clinique le 27 août à 4h30. Nous avons demandé au médecin qui était de garde de vous appeler pour venir voir l’état de mon épouse. Le médecin nous a dit que vous viendriez à 8h, mais vous n’êtes pas venu à 8h. L’on nous fit savoir qu’un autre gynécologue viendrait la voir. Ce dernier est venu autour de 11h l’observer et nous dire qu’il n’y avait rien de grave. Il nous a prodigué des conseils pour l’alimentation de mon épouse. Après une poche de sérum, nous avons dû refuser le sérum suivant que l’infirmier voulait encore lui transfuser, parce qu’en 8 jours d’hospitalisation elle a reçu plus de 20 sérums. Bref, vous avez pris tout votre temps pour venir voir mon épouse à 16h. En réalité, vous êtes venu faire une intervention, et sous notre insistance, vous êtes passé nous voir. Vous avez alors fait une échographie à madame pour nous dire qu’il n’y avait rien de grave et que l’on pouvait rentrer. Voilà comment s’est passée notre triste histoire avec vous et votre triste clinique.
Mon commentaire
La vie humaine est sacrée. Je salue la conscience et le professionnalisme de nos médecins et infirmiers qui sauvent chaque jour des vies humaines dans nos villes et nos compagnes avec parfois des moyens très limités. Quant à vous, Dr Sigué, je vous félicite pour les vies que vous avez pu sauver, mais je tiens à vous manifester ma souffrance et mon indignation face à la mort de mon fils, dans votre clinique, par manque d’assistance. J’accepte avec vous et avec tous ceux qui nous ont soutenus lors de cette douloureuse épreuve que c’est la volonté de Dieu. Nous pardonnons, mais nous tenons à ce que d’autres personnes ne subissent pas le même sort que nous. Evidemment, des choses tout aussi cruelles se passent dans d’autres cliniques et hôpitaux, mais c’est la volonté de Dieu qui a voulu que, par votre clinique, je puisse sonner l’alerte à tout le peuple burkinabè. Ma foi catholique veut que je dénonce ceux qui utilisent les noms des Saints dans leurs cliniques pour commettre le mal.
Vous avez laissé mourir notre bébé et vous en êtes responsable. Mon cas n’est pas isolé. Les victimes sont nombreuses chez vous et ailleurs. Les fautes médicales criminelles commises ici et là sont aussi graves que les conséquences d’une guerre civile.
Malheureusement, personne n’en parle et le fléau continue de sévir. Mon fils n’a vécu que 24 heures sur terre par votre négligence et votre manque de professionnalisme. Je suis convaincu que mon épouse pouvait être bien soignée et guérie du paludisme, et accoucher normalement par voie basse, comme cela a été le cas à sa première grossesse. En effet, elle a souffert du paludisme à sa première grossesse mais a été soignée dans un CSPS par des infirmiers et a été guérie. Elle a donc accouché normalement sans aucun problème. Votre traitement n’avait, peut-être pas pour but de la soigner mais d’aggraver sa santé pour pouvoir nous imposer une césarienne. La recherche du gain facile par l’abus des patients, voilà la règle dans de nombreuses cliniques à Ouagadougou. Combien de femmes ont-elles accouché par voie basse dans votre clinique ? Puisque l’accouchement par voie basse ne rapporte pas beaucoup d’argent, l’astuce consiste à créer des situations pour apeurer les femmes en vue de leur imposer l’accouchement par césarienne.
Ma femme n’a même pas fini d’endurer les douleurs de cette intervention que vous laissez son enfant mourir. Pourquoi n’avez-vous pas mis l’enfant dans une couveuse que vous affirmez avoir ? Pourquoi votre pédiatre n’est-elle pas venue voir l’état du bébé quand nous l’interpellions incessamment ? Où était-elle ? Dans une autre clinique en train de se faire de l’argent au détriment de la vie de notre bébé ? Pourquoi vous-même n’êtes pas venu voir l’état de l’enfant ni de sa mère pendant les 8 jours dans votre clinique ? La santé de vos clients vous intéresse-t-elle vraiment ? Le Pape François, lors de son audience du 27 août 2016, affirmait : «Nous vivons dans une société qui blesse, qui saigne, et le prix de ses blessures est généralement payé par les plus vulnérables.»
A l’angélus du 28 août, il préconise de «faire nôtres les souffrances et les angoisses des pauvres, des affamés, des malades, des marginalisés, des réfugiés, des vaincus par la vie, de ceux qui sont écartés par la société et par les abus des plus forts». Je ne suis pas un donneur de leçons, mais tout ce que je sais, c’est que la fonction d’infirmier ou de médecin est un don de soi pour servir le malade et non se servir du malade pour s’enrichir. Référez-vous chaque jour au serment d’Hippocrate que vous avez dit haut et fort devant vos maîtres pour être accepté comme médecin.
Pendant mon séjour dans votre clinique, j’ai tout observé. Si la vie de mon enfant avait été épargnée, vous seriez vous aussi épargné de cet écrit qui pourrait un tant soit peu vous ébranler dans votre confort. Je peux ainsi dire que vous avez vraiment besoin de vous réorganiser et de mettre du sérieux dans la gestion de votre clinique. Parmi les preuves, je peux citer, primo, le mauvais état de votre plafond dont une partie est tombée dans votre salle de soins. Imaginez que le reste du plafond s’écroule sur un patient ou sur un de vos agents. L’extérieur de votre bâtiment est propre, mais l’intérieur laisse à désirer par la vétusté et le désordre du matériel médical. Votre clinique s’apparente ainsi à un tombeau blanchi. Secundo, le repas servi aux patients arrive très tard et est souvent bourré de cube maggi, reconnu nocif pour la santé. Aucun fruit n’accompagne les repas ; or les malades ont plus besoin de fruits et de légumes que de garniture de céréales. Tertio, il y a du désordre derrière votre bâtiment. En effet, les tubes de prélèvement de sang sont jetés dehors à l’air libre. Je joins quelques photos pour vous en convaincre. Quarto, le service rendu n’est pas à la hauteur des frais payés. Nous regrettons sincèrement de n’être pas allés dans un CSPS ou au CMA, ou encore au CHU Yalgado, même s’il fallait dormir dans un couloir et repartir fièrement à la maison avec notre bébé. Hélas, nous avons cru avoir un meilleur confort et un meilleur service dans votre clinique, mais nous avons récolté la désolation et les larmes.
Cela pouvait arriver partout, certes, mais au moins il fallait tenter de sauver le bébé. Oui, il fallait tenter de le sauver pour nous montrer votre bonne foi.
Savez-vous ce que ça représente pour un jeune père d’enterrer son fils ? Je ne vous le souhaite pas, mais je voudrais que vous vous mettiez dans la peau des parents dont vous laissez mourir les enfants, pour comprendre la douleur qu’ils ressentent dans ces circonstances.
Devant la tombe de mon fils, le cœur serré et plein de douleur, je lui ai dit : «Mon fils, tu es un ange, tu es un héros. S’ils t’ont laissé mourir, c’est parce que tu es un héros, car l’on ne tue que les héros. Repose en paix dans les bras de tendresse de ta maman du Ciel, la Sainte Vierge Marie. Qu’elle te conduise à son fils Jésus afin que tu contemples la face de la sainte trinité. Prie pour nous. Nous t’aimons.» Cette prière m’a réconforté et c’est à ce moment précis que les mots pour écrire cette lettre ont commencé à jaillir de mon cœur. Chaque nuit, des paroles me venaient à l’esprit m’encourageant à donner ce témoignage à tous.
Bien sûr, tout enfant est un don de Dieu, et comme le dit Saint Irénée de Lyon, la gloire de Dieu c’est l’homme vivant. Dieu ne souhaite la mort de personne, surtout pas celle d’un innocent. Néanmoins, surpassant notre entendement humain, et selon notre foi chrétienne, nous sommes confiants qu’il vit une autre vie éternelle et que nous le reverrons un jour dans le Royaume Céleste.
A tous les agents de santé, qui n’ont pas fait de leur métier un sacerdoce, mais un commerce, nous leur rappelons qu’il y a un Dieu qui voit tout ce qu’ils font en secret. Ils répondront au grand tribunal, là où l’on ne peut plus acheter de procès. Je ne suis pas le prophète Jérémie pour leur annoncer un malheur, mais je suis convaincu qu’ils verront tous ceux qu’ils ont tués siéger à ce tribunal et il n’y aura aucun avocat, même pas le diable, pour les défendre.
L’argent qu’ils auront amassé ne servira ni à eux ni à leurs enfants car c’est une richesse maudite. Profitez donc de la grande miséricorde de Dieu, en cette année de la miséricorde, pour vous repentir de tous les morts et fautes graves dont vous êtes responsables, et arrêtez dès maintenant d’accorder plus d’importance à l’argent qu’à la santé des patients.
Ce qui m’a écœuré, c’est votre comportement d’indifférence face au drame qui s’est passé. Vous ne nous avez apporté aucune assistance, aucune compassion. Vous avez même l’audace d’annoncer la mort d’un être humain avec banalité «Soyez fort ! Bébé nous a filés». En racontant mon histoire dramatique, certaines personnes m’ont aussi relaté les leurs dans votre clinique. Un quidam de votre clinique est même passé consoler mon épouse en lui disant d’accepter ce qui s’est passé comme la volonté de Dieu, car des bébés très bien portants sont nés dans cette clinique et sont morts de façon inattendue.
Le métier d’infirmier ou de médecin est très noble et béni par Dieu. Pour paraphraser le serment d’Hippocrate, je souhaite que Dieu vienne toujours en aide aux médecins qui sont fidèles à leur serment et que les hommes leur accordent toute l’estime.
Quant à ceux qui sont infidèles au serment, qu’ils soient couverts d’opprobre et de mépris. Au ministère de la Santé, je recommande de lancer une enquête pour mesurer le degré de satisfaction de la population face aux services de santé. C’est l’occasion également de créer un conseil médical où les patients ou leurs parents pourront porter plainte pour les manquements des agents de santé.
Au regard de la rémunération du personnel de la santé, l’Etat doit faire un effort pour motiver les agents dont la tâche est difficile et délicate. Ils ont, entre leurs mains, la vie des populations. Nous souhaitons que les agents de santé soient dans les meilleures conditions de travail, pour éviter la tentation d’abuser des patients. Certes, l’argent ne suffit jamais à un être humain, mais cela minimise les risques. Si l’Etat améliore les services dans les centres de santé publics, beaucoup de cliniques vont changer de comportement pour rivaliser avec ce service public.
Je termine en vous présentant mes excuses, à vous, Dr Sigué, et à tous ceux qui se sont sentis frustrés par mes mots. Comme le dit cet adage latin : «Aliquis non debet esse judex in propria causa : Nul ne peut être juge de sa propre cause».
Mon objectif n’est pas de vous juger ni de vous condamner, mais de faire changer qualitativement les services rendus dans les centres de santé pour le bien-être de tous. J’ai la paix dans mon cœur, le pardon aussi. Je vous pardonne aussi au nom de mon fils et au nom de toute la famille éplorée. Que Dieu vous pardonne et que la paix soit dans vos cœurs ! Amen !
Très fraternellement !
Noël Pierre Windpanga SCIAN
Communicateur pour le développement
Communicateur pour le changement de comportement, redevabilité et apprentissage
Journaliste
pierre_scian@yahoo.com
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