CPI : le récit du Témoin P-547 : « Nous n’avions aucune intention violente » à la marche vers la RTI

Blessé lors de la manifestation du 16 décembre 2010, le témoin surnommé P-547 est le premier à passer devant les juges de la Cour pénale internationale (CPI).




Pour poser le cadre des interrogatoires, le juge italien Cuno Tarfusser tient à rappeler quelques règles pour leur bonne conduite.

Sur un ton calme mais sévère, Tarfusser explique qu’il ne veut pas « de questions inutiles (…) pour ne pas faire perdre de temps à la Cour ». Mais surtout, il n’autorisera en aucun cas des questions qui pourraient porter préjudice aux victimes vulnérables, telles les victimes de viols. Il précise qu’il peut à tout moment empêcher certaines questions pour le bien-être du témoin. Il avertit notamment que les questions sur la vie sexuelle passée des témoins victimes de viols sont proscrites.

« Bonjour M. le témoin », salue alors le juge-président. Une voix robotique le salue à son tour. « Le juge vous a accordé des mesures de protection. Ces mesures seront appliquées pendant tout le témoignage », précise Tarfusser. Il détaille : « Personne, à part nous ici, ne connaît votre nom (…) Nous vous appellerons monsieur le témoin ou bien avec votre numéro d’identification « P-547 » (…) Personne ne sera capable de voir votre visage ni d’entendre votre véritable voix. »

Par des bruits discrets et robotisés, le témoin acquiesce.

Exigence de vérité

S’adressant à P-547, le juge lui rappelle que la chambre considère fondamental le bien-être des témoins et qu’il peut donc, à tout moment, demander une assistance, faire des pauses ou faire savoir qu’il se sent mal à l’aise.

Le témoin parlera en dioula. Pour les besoins de la traduction, le juge lui demande aussi de parler lentement et distinctement.

Le juge évoque alors l’obligation de vérité des témoins : « Vous êtes obligé par la loi de faire un serment solennel. Je vous demande de répéter avec moi les mots suivants : ‘Je jure solennellement que je dirai la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.’ »

En dioula, le témoin s’exécute. Un faux témoignage constitue un délit, passible de sanctions.

Soro invitait les gens « à marcher mains nues »

Le témoin était membre du RDR pendant « à peu près 10 ans ». S’il est à La Haye, c’est parce qu’il vient témoigner en tant que victime. Il a été blessé lors de la marche du 16 décembre 2010 en direction de la Radiodiffusion télévision ivoirienne (RTI).

L’homme, ne sachant ni lire ni écrire, a d’ailleurs des séquelles physiques. « Avant la marche, j’étais en bonne santé », précise-t-il.

Il raconte d’abord le second tour de l’élection de 2010. Il affirme que, dans son bureau de vote, « certains gendarmes voulaient emporter les urnes par la force (…) Nous avons refusé (…) Ils n’ont pas pu les prendre ».

Sa volonté d’aller à la RTI trouve ses origines dans l’appel de Guillaume Soro, qu’il a entendu sur la radio de l’ONUCI. Soro invitait les gens « à marcher mains nues ».

« Qu’est-ce que ‘mains nues’ voulait dire selon vous ? » lui demande MacDonald. C’était pour « montrer que nous n’avions aucune intention violente. Nous sommes des civils, voilà ce qu’on a voulu faire comprendre », lui répond l’homme.

« Un couteau ou un grigri »

Il raconte son trajet vers la RTI. Il parle de sa peur lorsqu’il a vu les premiers « hommes en treillis militaires » car cela signifiait qu’il se passait « quelque chose ».

Puis, il parle de tirs de gaz lacrymogènes entendus après avoir traversé le pont de l’autoroute du nord en direction du Plateau. Les gens courent, il tombe, il sent que sa jambe est blessée. Puis finalement, arrive un véhicule militaire.

« J’étais à terre avec ma jambe fracturée, raconte P-547, lorsque les hommes sont sortis (du véhicule, ndlr) (…) Le chef a dit (à ses hommes, ndlr) que s’ils trouvent un couteau sur moi ou un grigri, ça veut dire que j’étais venu pour les attaquer. »

Si cela avait été le cas, comprend-on malgré un récit un peu confus, ils l’auraient abattu sur le champ. « Mais ils n’ont rien trouvé, Dieu m’a sauvé », poursuit-il.

« Puis, ils sont partis », relate l’homme, toujours en dioula. On comprend qu’à un moment, il reçoit une balle dans la jambe.

Battu à mort par des gendarmes

Ensuite, un véhicule gris arrive. Vraisemblablement, des « gendarmes commando ».« Que faisais-tu dehors ? », demandera l’un d’eux. Il leur répondra qu’il marchait car il voulait la justice. « Ils m’ont battu à mort (…) C’était pire qu’être bastonné par une foule (…). D’autres personnes courraient et ils leur ont tiré dessus sans les atteindre. » 

Il continue en expliquant qu’un des soldats avait demandé à un supérieur s’il devait le tuer. « Il est déjà parti », lui aurait répondu ce dernier en voyant P-547 à terre.

MacDonald demande quels types de blessures il a eues. Le témoin s’exclame: « Vous ne voyez pas que ma tête porte encore des cicatrices ? Et mes côtes me font mal encore aujourd’hui. » Il précisera aussi qu’il utilise une béquille. Une photo montrant la partie du corps où il a reçu la balle est aussi présentée à la chambre.

Le témoin explique qu’à un moment, une ambulance de la Croix Rouge est finalement arrivée sur place et l’a transporté au Centre hospitalier universitaire (CHU) de Yopougon. Sur la route, un barrage. Des hommes avec « des coupe-coupes et des fusils » souhaitent que les blessés à bord débarquent. « Ils allaient tous nous tuer », explique le témoin.

À Cocody, les manifestants n'avaient pas droit aux soins

« On a reçu des bons soins au CHU mais par la suite on nous a dit qu’il fallait nous transférer à Cocody », continue de raconter P-547. Il explique que certains l’on avertit qu’on n’allait pas les soigner à Cocody, que « Gbagbo avait donné l’ordre ». Mais P-547 y est allé.

Là-bas, « aucun médecin n’est venu nous voir (…) Nous sommes restés dans le couloir avec des blessés, personne ne venait ». Un médecin est arrivé et lui a demandé s’il était à la marche. Il a acquiescé et s’est vu répondre qu’il valait mieux qu’il parte. « Ils ont reçu un message comme quoi toutes les personnes qui étaient à la marche, ils ne devaient pas les soigner », explique-t-il.

Il évoque des blessés et des gens mourants dans les couloirs de l’hôpital. Le 18 décembre, finalement, il part pour une clinique.

Le témoin informera finalement la chambre qu’il ne travaille plus car il ne peut pas rester debout longtemps. Mais il se dit content de pouvoir participer au procès : « Je suis là à parler au président du tribunal et j’en remercie le bon Dieu. »

L'interrogatoire du témoin P-547 se poursuivra demain avec la suite des questions du bureau de la procureure. Après quoi, il répondra aux avocats de la défense.

récit de ivoirejustice.net




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