Mairie de Saponé : punir une population pour venger une rancune tenace

La dissolution du conseil municipal de Saponé, intervenue le 14 décembre 2017, en Conseil de ministres, est présentée à l’opinion nationale, voire internationale, comme le moindre mal pour éviter le pire entre les fils de Saponé qui, soit disant « s’entretuent ».

Emotionnellement, quand on voit effectivement un jeune aiguiser son coupe-coupe, sur le goudron, et promettre, face aux objectifs des caméras, de découper quiconque s’approcherait, toute personne qui aime la paix se serait écriée : « arrêtez tout cela ! Et vite ! ».

Malheureusement, le Gouvernement, a « cassé le thermomètre pour guérir une fièvre » comme l’avait ramassé, excellemment, une de nos meilleures plumes du journalisme, NAB pour ne pas le nommer,  à une période de notre histoire. Le Gouvernement porte la collégialité de sa décision  même si l’on sait, de source sûre, que la dissolution n’est soutenue « vaillamment » que par 2 membres du Gouvernement, et que la dissolution a été prononcée en l’absence du Président du Faso, Président du Conseil des ministres. Pourtant, dissoudre un conseil municipal est, en principe, un acte politique majeur et ne devrait pas intervenir sur la base d’un faux rapport, dont les faits sont travestis, dénaturés, grossis à la loupe, pour présenter Saponé comme un champ de guerre dont les « bougdandouilles » (les fusils traditionnels) sont alignés, de part et d’autre, et dont il ne resterait que la mise à feu.

Le premier mur de mensonges à abattre est d’avancer que « les fils de Saponé ne s’entendent pas ». La réalité est qu’à Saponé, les uns et les autres continuent de fréquenter les mêmes cabarets, participent aux mêmes funérailles et, malheureusement, continuent à enterrer, ensemble, leurs morts. Les fils de Saponé, « nés au village, grandis au village », respectent leur serment : résister contre les germes de la division disséminés  par des hommes et des partis politiques.

Malheureusement, le rapport présenté en Conseil des ministres a peint une image des fils de Saponé barricadés en 2 tranchées de guerre, fabriqué de toutes pièces des adhérents pour des partis politiques, insinué l’existence au sein du MPP, le parti majoritaire dans la commune, de vrai-vrais et de vrai-faux militants, créant ainsi la division au sein de ce Parti. Le rapport a présenté les 6 jeunes qui ont été « tramadolés » pour barrer les voies et incendier les bureaux de la Mairie comme une menace très grave à la paix à Saponé. Il ne manquait qu’une petite touche du pinceau pour transformer Saponé en Kolwezi. Ah bah !

Pendant que plus de 3 000 personnes de Saponé, après l’incendie de la Mairie, par des marches pacifiques et par des sit-ins quotidiens, à la préfecture, manifestent leur désapprobation, il est regrettable de ne pas trouver une seule personne courageuse pour revendiquer la paternité de l’incendie de la Mairie.

Par contre, par des mensonges grossièrement montés, l’on accuse certains fils de Saponé, principalement ceux résidant à Karkuidighin (Saponé-Centre) de s’être accaparés des leviers de la commune et de refuser qu’un autre fils d’un autre village de la commune de Saponé soit Maire à Saponé. Il suffirait d’une simple carte géographique pour se situer sur la provenance de tous les anciens maires (dont l’actuel maire), et même de tous les membres des anciens exécutifs municipaux, pour dégonfler cette contre-vérité qui trône comme un nez sur un visage.

Le deuxième mensonge, plus gros encore, est de déclarer que Saponé-centre se serait accaparé tous les investissements publics, « depuis plus de 100 ans », en ignorant royalement Saponé-marché. La vérité est que, pour ce qui est des investissements publics, les fils de Saponé les cherchent à la loupe car beaucoup savent qu’il y a bien longtemps qu’ils se sont faits très rares dans cette localité. Et même s’il advenait qu’il y ait des investissements publics, ce serait comme si Zorgho venait à reprocher à Ouagadougou d’abriter le palais de l’Empereur des mossé et / ou le Conseil Constitutionnel.

Par contre, les fils de Saponé, reprochent ouvertement, et sur la place publique, à Monsieur Idrissa Ouédraogo, principal instigateur de tout ce qui se passe à Saponé, ou à tout le moins à qui profite, malheureusement, la dissolution du conseil municipal, trois attitudes :

– La première est d’avoir tenu, le 9 août 2016, dans la cour royale de Saponé, des paroles de mépris à l’endroit du collège des chefs, réunis pour accueillir Monsieur Alfred Gouba, envoyé à l’époque, par le Gouvernement. Ce jour-là, le chef d’un village de Saponé (Bonogo), du haut de ses 96 ans d’âge et 75 ans de règne, a supplié « les politiciens, au nom des ancêtres, des chefs, des vieux et des vieilles, de toute la population, de s’entendre, de s’unir pour travailler pour le bien de Saponé et ne pas leur mettre la honte ». Il a terminé en leur demandant de considérer en lui 3 valeurs : « Il est un vieillard, chef et forgeron ». Ce à quoi Monsieur Idrissa Ouédraogo a rétorqué que « les chefs devraient avoir le courage de dire la vérité à l’opposition » ; que « c’est son parti qui a gagné les élections, donc l’opposition doit s’aligner à la majorité, sans condition. » ; et de conclure que « A défaut de ce courage, les chefs ne devraient  pas se mêler de politique ».

– La deuxième attitude est son « manque de respect »  vis-à-vis des aînés. Après avoir tenu des propos discourtois à l’encontre des vieux et des chefs, il s’est mis à dos les aînés. En effet quand le comité de médiation l’a convié au dialogue, au mépris de toute règle de bienséance, non seulement il les a fait poireauter pendant plus de 4 heures d’horloge, mais en plus il leur a surtout tenu un langage presque ordurier. Monsieur Idrissa Ouédraogo a enfin dénié à ce comité le rôle de médiation qu’ils entendaient jouer, arguant qu’il n’a mandaté personne. Pour qui connait le terroir moaga, il est manifeste que tenir de tels propos dans une cour royale, en présence du collège des chefs, manquer de respect à des aînés, publiquement, ne saurait demeurer sans effet. Chaque peuple a ses valeurs. On peut apprécier ou ne pas apprécier.

– La troisième attitude reprochée à Monsieur Idrissa Ouédraogo est son « esprit de division ». Il a soutenu à plusieurs reprises que le fait que son parti, le MPP, ait la majorité à Saponé, et que de ce fait, il n’a besoin de la collaboration d’aucun autre parti pour gouverner Saponé.

En dépit de ces attitudes et malgré toutes ses « erreurs de jeunesse » et de « nouveau promu », des bonnes volontés ont continué à lui proposer des actions pour rattraper ses errements. Malheureusement, la certitude que ses mentors, en haut lieu, lui apportaient n’a laissé place à aucune humilité. Cette arrogance a clairsemé le rang des conseillers municipaux au sein de son propre parti, si bien qu’à la convocation de son 3ème conseil municipal en sa qualité de maire, il n’a réuni que 22 conseillers municipaux sur 80, d’où la dissolution du conseil qu’il présidait.

Nous avions parlé plus haut du thermomètre que le Gouvernement a cassé pour soigner la fièvre.

Pour dissoudre un conseil municipal, la loi préconise deux voies.

  1. L’impossibilité pour le conseil municipal de fonctionner. En français facile, le conseil municipal est dissout s’il n’arrive pas à réunir le quorum, trois fois de suite, pour tenir une session. Or, malgré les tentatives maladroites et grossières de l’Administration, pour empêcher le conseil municipal, récemment dissous, de tenir ses sessions, la première session a réuni 55 conseillers (54 présents et 1 procuration) tandis que la deuxième session réunissait 60 sur 80 conseillers. D’où vient alors l’évocation du disfonctionnement du conseil municipal en conseil des ministres pour justifier la dissolution ?
  2. La deuxième voie est la menace de la paix. C’est vrai, quelques jeunes, drogués par ceux à qui profite la dissolution du conseil municipal, ont barré à intervalles réguliers la route Ouaga-Léo et ont promis de découper, comme du saucisson, qui oserait les défier. Toutefois, il est à remarquer que ces manifestations ont toujours été circonscrites à Saponé-marché et qu’en aucune circonstance il n’y a eu des velléités, de la part des 4 autres zones de la commune, d’empêcher ces « indisciplinés » de manifester leur mécontentement. Pour ainsi dire qu’il n’y a jamais véritablement eu de risques d’affrontement. Pour notre mémoire commune et très curieusement, les CRS n’ont pas pu déloger 6 jeunes qui bavaient et barricadaient la nationale 6.

Dans une République normale, où tous les citoyens sont, en principe, égaux, ceux qui barricadent les voies à intervalles réguliers et aiguisent leurs coupe-coupe sur la voie publique se seraient vus interpellés pour trouble à l’ordre. Et tout se serait arrêté. Immédiatement ! Mieux, dans une République normale, soucieuse de respecter ses propres lois, l’on aurait accordé au Maire la protection nécessaire pour s’acquitter de son devoir et non pas protéger des coupeurs de route, au sens premier du terme. Mais hélas, il arrive que dans une République, l’on choisisse de supporter un ami et protéger une infime minorité de conseillers en abandonnant 60 conseillers sur 80. Dans une République, l’on peut choisir de punir 37 villages pour contenter 3 villages.

Mais la fièvre ne baissera pas, car croire que l’on peut bâillonner une population et prendre en potage le vote des populations de 37 villages pour protéger une minorité n’est pas légal. N’ayons pas peur des mots même si, en ces jours, l’air de la déstabilisation pollue le Burkina. Il nous faut donc être net, précis, tranchant. Le déni du vote souverain des populations n’est ni plus ni moins qu’un coup d’Etat. Et si le Gouvernement adore les coups d’Etat, il va falloir alors libérer Monsieur Gilbert Diendéré, illico presto, car lui aussi a fait son coup d’Etat parce qu’il estimait ses amis exclus. Et le parallèle n’est pas dénué de logique et de raison.

Maintenant quelle solution ? La plus simple serait « l’instant de lumière ». Le Gouvernement, se rendant compte de l’erreur commise, rapporte sa décision. Tout simplement. Ce serait de loin la meilleure façon puisque le Gouvernement se serait montré attentif à la volonté d’une population. En plus, le parti majoritaire conserverait sa base politique et électorale à Saponé. Mais vu la personnification de la dissolution du conseil municipal de Saponé et la rancune tenace, de certains membres du Gouvernement, à l’encontre de Saponé, cette voie, somme toute pleine de sagesse, semble improbable.

La deuxième voie est celle de la médiation. Des institutions de la République, des personnes, individuellement, responsables de tout bord et même du parti majoritaire, s’investissent pour faire remarquer au Gouvernement que la mesure prise de dissoudre le conseil municipal est loin de préserver la paix. Pire, elle est enceinte de tous les dangers. La sagesse commanderait que le Gouvernement encourage non seulement les médiateurs mais soit surtout attentif à leur démarche et écoute leurs conseils. Ainsi la médiation, après avoir écouté les deux parties, (ce que le Gouvernement n’a pas fait parce qu’il a un parti pris dès le départ), pourrait proposer une solution qui continue de préserver le vouloir vivre en commun des fils de Saponé.

Aucune de ces deux voies ne fait perdre la face au Gouvernement. Bien au contraire ! Mais si elles sont méprisées, il ne restera qu’à contraindre les fils de Saponé, à user de la voie judiciaire. L’on perdra du temps, de l’argent et surement des militants car les populations entendent respecter la devise de leur ancêtre fondateur : « vivre debout et digne » ! Nul n’est jamais monté sur le dos de la population de Saponé parce qu’elle a toujours refusé de se courber, et cela fut-il au péril de sa propre vie.

Bonne et heureuse année 2018 à tous et à toutes ! Dieu bénisse le Faso !

André-Eugène ILBOUDO

Tu as aimé cet article ?

Alors rejoins nous sur nos différents canaux de diffusion
pour ne rien rater de nos dernières actus !