Acquittés des violences qui ont suivi la présidentielle de 2010 en Côte d’Ivoire, Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé ne sont pas encore tout à fait libres, mais leur procès devant la Cour pénale internationale (CPI), riche en coups de théâtre, a franchi une nouvelle étape le 16 juillet.
Les juges ont communiqué le jugement motivé de leur décision orale rendue il y a six mois, lançant de fait le compte à rebours de trente jours laissé à la procureure pour faire appel. Fatou Bensouda a néanmoins demandé un délai jusqu’au 10 octobre pour déposer sa requête. Une décision qui devrait nourrir les spéculations à Abidjan où, à l’horizon de l’élection présidentielle de 2020, beaucoup s’interrogent sur le sort et les ambitions des deux hommes, acquittés mais toujours assignés à résidence, à Bruxelles pour Laurent Gbagbo et à La Haye pour Charles Blé Goudé.
Si la procureure n’a pas fait la preuve des crimes contre l’humanité reprochés aux deux Ivoiriens, « il y a indéniablement la preuve de beaucoup de traumatismes et de souffrances humaines », écrit le juge Geoffrey Henderson en préambule, précisant qu’il ne lui appartient pas de prendre « position sur la responsabilité morale ou politique » des deux acquittés.
Le président, Cuno Tarfusser, évoque « la compassion » ressentie pour « les souffrances endurées par les Ivoiriens », mais précise qu’un procès n’est pas fait pour « juger l’histoire d’un pays ». Les deux juges ont motivé leur décision d’acquitter dans des documents séparés. La troisième juge, minoritaire, estime que le procès doit se poursuivre.
« Récit manichéen et simpliste »
Les deux magistrats fustigent « la déconnexion globale (…) entre le récit de la procureure » et les preuves déposées lors des trois années de ce procès ouvert en janvier 2016. Selon le procureur, Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé auraient, avec leur cercle proche, mis en place une politique ciblant les civils favorables à Alassane Ouattara dans l’objectif de conserver le pouvoir à tout prix.
Mais, pour les juges, la thèse du procureur repose « sur des bases incertaines et douteuses, inspirées par un récit manichéen et simpliste d’une Côte d’Ivoire décrite comme une société polarisée dans laquelle on peut tracer une ligne de démarcation nette entre pro-Gbagbo d’une part et pro-Ouattara d’autre part ».
Sur plus de mille pages de motivation, les juges estiment que « rien dans la preuve ne permet de penser que Laurent Gbagbo aurait “refusé de se retirer” parce que son plan était de “rester au pouvoir à tout prix” », ni que les forces ivoiriennes auraient servi ce plan.
Le procureur avait avancé l’hypothèse d’un commandement parallèle au sein des forces régulières, mais les juges estiment qu’« aucun témoin n’a pu suggérer, ne serait-ce qu’un doute ou une hypothèse », montrant que la mission des forces ivoiriennes « aurait été biaisée ». Les juges reviennent en détail sur « l’exceptionnelle faiblesse » des preuves présentées par le procureur.
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