Depuis quelques années, les jeunes burkinabè ont développé des stratégies de résistance face aux abus de l’Etat. C’est ainsi qu’ont émergé des mouvements citoyens. L’un des plus actifs, le Balai citoyen, s’est positionné comme un contre-pouvoir influent. Ces mouvements ont pris une part active dans l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014, aux côtés des partis politiques.
La plupart d’entre eux a participé, à travers leurs leaders, à la gestion des institutions de la transition, notamment le Conseil national de la transition (CNT), le gouvernement et la Commission de la réconciliation nationale et des réformes (CRNR). C’est le cas d’Hervé Ouattara du Comité anti-référendum (CAR) qui présidé le groupe parlementaire « société civile » au CNT et de Maître Hervé Kam du Balai citoyen qui a présidé la sous-commission en charge de la réforme constitutionnelle de la CRNR.
A l’issue de l’insurrection, ces mouvements, malgré leur grande diversité, se sont coalisés autour d’une plateforme commune et désigné le Pr Luc Marius Ibriga, du Front de résistance citoyenne (FRC) comme porte-parole. Après l’avènement du nouveau pouvoir, la tendance à la dynamique unitaire au sein de la coalition des insurgés semble s’effriter progressivement. Le nouveau parti au pouvoir a engagé une campagne de dénigrement des acteurs de la transition. L’objectif est d’affaiblir la société civile et les anciens leaders de la transition afin de briser tout contrepoids au MPP. Cette campagne a ciblé non seulement l’ancien premier ministre Yacouba Isaak Zida, soupçonné d’avoir des ambitions politiques, mais aussi des leaders de la société civile tels qu’Hervé Ouattara, Maître Guy Hervé Kam et Marcel Tankoano.
Comment expliquer ce conflit entre « insurgés » ? L’explication semble résider dans la dislocation du « mouvement insurgé » dans son ensemble. En effet, au plan politique, les partis membres du CFOP avant l’insurrection se retrouvent aujourd’hui dans des camps opposés. En l’absence de Blaise Compaoré, « l’ennemi » commun, les acteurs de l’insurrection, traversés par des divergences diverses, ne constituent plus un bloc politique. Les deux partis politiques les plus représentatifs du pays, le MPP et l’UPC sont en effet respectivement au pouvoir et dans l’opposition. Or, au niveau politique, ces deux partis constituaient la principale force contre le régime de Blaise Compaoré.
Ceci n’est pas sans effet sur la société civile, traversée par la même logique de dislocation, parce que les associations tacitement affiliées au MPP soutiennent désormais le pouvoir. La logique unitaire qui a été observée pendant la transition s’est ainsi disloquée.[10] C’est ce qui explique la naissance d’une nouvelle coalition dénommée Ditanyé créée par des mouvements échappant à l’influence du MPP et désireux de préserver leur statut de « sentinelle » de la démocratie.[11]
En clair, le contexte sociopolitique burkinabè, après une année de pouvoir du régime Kaboré, est caractérisé par un essoufflement du « pouvoir de la rue », qui résulte principalement du choix des « insurgés » d’aller aux élections en rangs dispersés, c’est-à-dire de briser le bloc qui a fait chuter Blaise Compaoré.[12]
Après une année de présidence, Roch Marc Christian Kaboré a préservé la stabilité du Burkina Faso. Il a ouvert de nombreux chantiers de réformes inspirées de son programme politique. L’enclenchement de la réforme constitutionnelle en vue du passage à une nouvelle République reste au plan politique le principal chantier inauguré. Si la vie politique est relativement stable, la fracture politique née de l’insurrection demeure béante. L’opposition et la société civile, bien que dynamiques, restent traversées par des divergences internes qui affaiblissent leur capacité d’influence.
Le défi politique le plus important pour les quatre prochaines années est celui de la justice et de la réconciliation nationale. Plusieurs dignitaires du régime défunt, civils et militaires, sont poursuivis par la justice. Certains sont fuite hors du pays, tandis que d’autres sont en détention préventive ou en liberté provisoire. Seul Blaise Compaoré, toujours en exil en Côte d’Ivoire, bénéficie d’une amnistie accordée aux anciens chefs d’Etat adoptée en 2012.
Au plan économique, c’est l’adoption d’un nouveau référentiel de développement, le Plan de développement économique et social, qui a caractérisé cette première année du quinquennat. Le défi majeur à ce niveau reste la mobilisation des ressources pour financer ce programme qui est censé sortir le pays de la précarité économique.
Evidemment, la capacité du nouveau pouvoir à réussir sa nouvelle politique économique est tributaire de la situation sociopolitique. Les tentatives présumées de déstabilisation du régime, l’insécurité dans les zones frontalières avec le Mali, les remous sociaux dans le secteur public, le jugement imminent de certains dossiers de crimes sont autant des facteurs susceptibles de perturber la stabilité sociopolitique du Burkina Faso à l’orée de l’année 2017.[13]
Et c’est de la manière dont ces défis seront traités par le président Kaboré que dépendra sa capacité à ouvrir de nouvelles perspectives pour le pays des hommes intègres.
Par Dr Abdoul Karim Saidou