Djibril Bassolé

Djibril Bassolé auditionné par l’’Assemblée nationale française

Djibril Bassolé, ancien ministre des Affaires étrangères du Burkina Faso, s'est présenté devant une commission de l'Assemblée nationale française le 22 juin 2023. Cette audition s'inscrivait dans une mission d'information visant à éclairer les relations entre la France et l'Afrique. Djibril Bassolé a décrit la situation complexe du Sahel, du Mali et du Burkina. Fervent défenseur de l'autonomie africaine, il a avancé des solutions, affirmant qu'il est nécessaire de trouver "des solutions africaines aux problèmes africains".

L’intégralité de son intervention.

Merci à Madame Michèle Tabarot et à Monsieur Bruno Fuchs,
Co rapporteurs de la mission d’information sur les relations entre l’Afrique et la France.

Il est de notoriété publique que les rapports entre la France et l’Afrique se sont considérablement détériorées ces dernières années. La France est aujourd’hui extrêmement contestée dans certains pays de l’Afrique, à commencer par le Sahel.

Je voudrais préciser que, de mon point de vue, les françaises et les français n’ont aucun problème pour se rendre et vivre sur le continent africain. C’est la politique de la France en Afrique qui est contestée.
Cette contestation, qui s’amplifie, est marquée par des incidents diplomatiques et des manifestations publiques hostiles, soutenues par une campagne médiatique anti française largement répandue dans les anciennes colonies françaises.
Le phénomène de la contestation est moins perceptible dans les autres pays africains qui se contentent, à certaines occasions, de reprocher aux « francophones » d’être trop assujettis à la France (Réf. à l’existence du franc CFA par exemple).

J’aborderai les causes de cette contestation qui sont communes à l’espace francophone africain avant d’en arriver au cas spécifique du Sahel.

Causes générales de la contestation

Dans les années 90, en France, de nouvelles dispositions légales et règlementaires de restriction sur les conditions d’entrée et de séjour des immigrés en France ainsi que le débat politique public amplement médiatisé sur l’immigration, ont clairement fait comprendre aux africains qu’ils n’étaient plus les bienvenus en France.

En effet, les nouvelles mesures relatives à l’immigration entrainèrent d’énormes difficultés pour les africains (surtout la jeunesse étudiante) d’obtenir des visas d’entrée en France. Le nombre de demandes refusées, les longs délais de traitements des dossiers, le renforcement des contrôles sécuritaires et les accueils humiliants devant les consulats de France ont fini par susciter colère, inquiétudes et exaspération au sein de populations, surtout en Afrique du Nord et de l’Ouest.

Les nombreuses restrictions et tracasseries dans les consulats français ont poussé de nombreuses familles africaines à orienter leurs enfants vers le Canada, les États Unis, l’Angleterre et dans certains pays anglophones comme le Ghana pour poursuivre leurs études supérieures et se former professionnellement.
Il se trouve aujourd’hui que l’élite africaine est essentiellement composée de ces jeunes, qui n’ont pas du tout le même attachement à la France et la langue française que leurs parents. La dynamique des relations avec la France, dès lors, ne pouvait évoluer que dans un sens défavorable.

L’impossibilité d’aller en France, ne serait-ce que pour des raisons familiales, économiques ou culturelles, est ressentie par les africains comme la manifestation tangible d’une certaine ingratitude.
Ils ont le sentiment que, après avoir colonisé et exploité les pays africains, la France se referme sur elle-même et leur devient même hostile, tout en maintenant sa présence en Afrique. Les épisodes tragiques de l’histoire comme ceux relatifs aux Tirailleurs sénégalais (Camp de Thiaroye), renforce malheureusement cette perception de la France peu reconnaissante.

Par voie de conséquence, les ingérences politiques et économiques de la France en Afrique deviennent insupportables pour les jeunes générations africaines et agacent l’élite intellectuelle.
Ils dénoncent le paternalisme et le comportement directif de la France à l’égard des affaires africaines.

Avec le développement fulgurant en Afrique des nouvelles technologies de l’information (les réseaux sociaux) et l’activisme de certains leaders d’opinion, une véritable campagne anti française se propage et gagne du terrain en Afrique qui se trouve confrontée par ailleurs au sous-développement, à la mal gouvernance et la précarité des conditions de vie qui rendent les populations extrêmement vulnérables.

Le cas spécifique du Sahel

Concernant le cas spécifique du Sahel, les relations avec la France sont passées d’un extrême à l’autre en l’espace d’une décennie.

En janvier 2013, l’armée française, à la demande des autorités maliennes, lance l’opération Serval au nord Mali pour arrêter la progression des groupes armées rebelles sur la capitale Bamako et réussit dans la foulée à libérer les villes de Tombouctou et Gao précédemment aux mains des groupes armées séparatistes qui combattaient l’état malien.

Le succès de l’opération Serval fut unanimement apprécié par les populations du Sahel et du Mali qui accueillirent le Président français en libérateur.
Encouragée par ce succès militaire, la France décida de maintenir sa présence militaire et en aout 2014, l’opération Barkhane remplace Serval.

Aujourd’hui les relations entre les pays du Sahel et la France se sont abimées au point que les autorités maliennes et burkinabè ont demandé et obtenu le départ quasi immédiat des forces françaises qui étaient déployées sur leurs territoires dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.

A mon humble avis, la France a commis deux erreurs d’appréciation qui ont entrainé des incompréhensions puis la rupture de la confiance.
La première, c’est de s’être maintenue militairement au Mali après l’opération Serval avec un agenda réel ou supposé qui ne cadrait plus exactement avec celui de l’armée malienne. En tout état de cause, l’amplification du phénomène du terrorisme au Mali et dans les deux pays voisins du Burkina et du Niger a fini par convaincre les populations sahéliennes que la présence militaire française avec des moyens ultra modernes visait d’autres objectifs que la lutte contre le phénomène terroriste. La théorie du complot a même hanté certains esprits au Sahel.

La deuxième erreur a consisté pour la France à s’opposer aux solutions que les Maliens avaient fortement suggérées. En effet le Dialogue National Souverain malien avait, entre autres choses, recommandé la relecture de certaines dispositions de l’accord pour la paix et la réconciliation nationale selon son article 65 ; ainsi que la négociation avec Amadou Koufa et Iyad Ag Ghali (dirigeants maliens de groupes armés liés à Al Qaida) pour ramener la paix au Mali. Ces négociations avaient été fortement recommandées par les participants à la Conférence d’entente nationale (CEN de 2017).

S’opposer au souhait des Maliens de se parler pour trouver une solution de paix et ne pas pouvoir enrayer militairement le terrorisme au Mali a rendu la présence militaire française au Sahel très contestable.

La convocation et la tenue du sommet de Pau (en France) en janvier 2020, aussi bien dans le fond que la forme, n’a pas arrangé les choses.

La situation particulière du Burkina Faso

La situation actuelle au Burkina Faso est l’une des conséquences de la propagation du phénomène du terrorisme qui a pris naissance au nord Mali. L’aggravation du phénomène terroriste a eu pour conséquence, là aussi, de créer des tensions et des incidents entre les forces françaises et les populations locales.

La situation sécuritaire y est extrêmement critique et se caractérise par :
-  une instabilité institutionnelle ;
-  la remise en cause de l’autorité de l’état ;
-  une crise humanitaire sans précédent (des centaines de milliers de personnes déplacées internes et refugiées, ainsi que la déscolarisation de trop nombreux enfants à cause de la fermeture de milliers d’écoles pour cause d’insécurité).

La réponse militaire efficace et adaptée à ces agressions terroristes multiformes est indispensable mais ne suffira pas à elle seule pour garantir une paix stable et durable.
Le dialogue avec les populations locales insurgées (à distinguer des groupes extrémistes fanatisés) devient incontournable pour mieux comprendre leurs motivations et améliorer notre propre système de gouvernance hérité de la colonisation et qui ne permet plus de répondre aux aspirations profondes des régions en proie à ces insurrections armées.

Il faut trouver des solutions africaines aux problèmes africains. Seules les vertus du dialogue pourront permettre de créer un environnement de paix propice au développement et à la cohésion sociale.

En tout état de cause, il est urgent que les partenaires traditionnels du Burkina Faso aident l’état burkinabè et ces centaines de milliers de jeunes enfants à retrouver le chemin de l’école pour éviter qu’ils n’aillent grossir les rangs des groupes armés terroristes ou ceux des candidats à l’immigration clandestine. Ces enfants privés aujourd’hui d’éducation et de formation deviendront demain, sans aucun doute, des hors-la-loi qui compromettront irrémédiablement l’ordre public.

La situation sécuritaire au Burkina et au Sahel d’une manière générale est préoccupante et ne manquera pas d’avoir des répercussions négatives sur les plans politique, économique et social.

L’aggravation de la situation sécuritaire au Sahel aura des conséquences tragiques de nature à :
-  amplifier la crise humanitaire, la précarité des conditions de vie et la désespérance ;
-  compromettre durablement le développement économique et social ;
-  anéantir l’administration et l’autorité de l’état ;
-  contraindre les jeunes à l’exode rural et à l’immigration clandestine, en bravant le désert du Sahara et la mer de la Méditerranée ;
-  détériorer d’avantage les relations avec la France et le monde occidental en général.

La reconstruction des relations entre la France et l’Afrique
La reconstruction de relations apaisées et mutuellement bénéfiques entre la France et les pays africains exigent à mon avis que la situation sécuritaire s’améliore sensiblement.

A cet égard je recommanderais qu’une attention particulière soit accordée à la situation au Soudan. De même que la guerre en Libye a dangereusement déstabilisé le Sahel, une implosion du Soudan compromettrait gravement les chances de rétablir la paix dans les pays francophones du Sahel et de l’Afrique centrale.

Je crois personnellement que les questions migratoires et les crises sécuritaires accentuent les vagues de contestations de la politique française en Afrique. De leur résolution efficace et concertée dépendra l’avenir des relations entre la France et les pays de l’espace francophone en Afrique.

L’élaboration d’un plan de paix robuste fondé sur la sécurité, l’équité et le développement s’impose.
Les efforts pour y parvenir doivent être nécessairement partagés dans un esprit de partenariat.
La part de responsabilité de l’élite dirigeante africaine reste essentielle.
Elle consiste à promouvoir dans les pays africains une gouvernance vertueuse qui favorise la stabilité, le développement économique créateur d’emplois et la cohésion sociale.

L’Afrique doit impérativement sortir du sous-développement par ses propres moyens et améliorer de manière significative les conditions de vie et de travail de ses populations. Elle en a les capacités.

C’est à ce prix qu’elle sera véritablement indépendante et établira sereinement des relations de partenariat mutuellement avantageuses avec la France et l’ensemble de ses partenaires de la communauté internationale.

Je vous remercie.



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