Bientôt six mois qu’il est derrière les barreaux. Il y a eu plusieurs échos sur l’homme dans la procédure. Mais c’est la première fois qu’il s’ouvre à un média. C’est L’Evénement qui en a eu l’exclusivité. Djibril Bassolé, général de gendarmerie, grand OP donc, puisque certains de ceux qui l’interrogent aujourd’hui ont été ses « petits » pour parler prosaïquement, passe au crible l’ensemble de la procédure dont il est l’objet.
Le Tribunal Militaire de Ouagadougou (TMO) peut-il encore garantir un procès équitable et transparent dans l’affaire du putsch manqué du 16 septembre 2015 ?
La procédure pénale engagée par le TMO contre les auteurs et les complices présumés du coup de force du 16 septembre 2015 a débuté dans un contexte politique particulier marqué par la fin de la transition, la tenue des élections et l’installation des nouvelles institutions de la république.
C’est dans ce contexte que des actes du juge d’instruction militaire, en contradiction avec une bonne administration de la justice et des droits de la défense, seront portés volontairement ou involontairement à la connaissance de l’opinion publique. Ces actes du Tribunal militaire, dignes d’un Etat d’exception, ne manqueront pas de défrayer la chronique. Les anomalies liées à la procédure ont ainsi été soulevées aussi bien par les parties au procès (représentées par leurs avocats) que des observateurs extérieurs.
L’examen des informations disponibles à travers les communiqués, les déclarations et autres conférences de presse, nous permet de mettre en exergue les mesures inédites prises par le juge d’instruction militaire et qui sont de nature à décrédibiliser le système judiciaire, à créer une insécurité juridique et un malaise dans les relations avec la Côte d’Ivoire voisine en particulier.
Examinons quelques-unes de ces anomalies exceptionnelles que l’on peut désigner comme il suit :
la question tapageuse des écoutes téléphoniques sensées être détenues sous scellées par le juge d’instruction militaire et dont l’origine n’est pas encore déterminée (identifiée) ;
les ingérences flagrantes des autorités de la Transition par des interférences et des commentaires publics au sujet des pièces essentielles de la procédure judiciaire ;
l’émission d’un mandat d’arrêt international contre le président de l’Assemblée nationale de la Côte d’Ivoire ainsi que l’inculpation et la détention de personnalités civiles et militaires sur la base de prétendues écoutes téléphoniques dont l’origine reste douteuse ;
l’éviction des avocats des pays membres de l’UEMOA et de la France par le juge d’instruction militaire au mépris de la Constitution du Burkina Faso, des règlements de l’UEMOA et des conventions internationales.
La gestion des écoutes téléphoniques
Vers le 12 novembre 2015, en pleine campagne électorale, des éléments provenant d’écoutes téléphoniques présumées ont été longuement publiés par Internet, les réseaux sociaux et les médias. Ces éléments sonores qui ont été attribués entre autres personnalités à Guillaume Soro et Djibril Bassolé n’ont pas encore été authentifiés et ne figuraient pas dans le dossier judiciaire au début de la procédure. Si le support de l’enregistrement sonore est détenu sous scellé au Tribunal militaire comme l’a indiqué le commissaire du gouvernement au cours de sa conférence de presse, il se pose un grave problème quant à l’origine et à la fiabilité de ses écoutes. Soit les éléments communiqués au public via internet et les médias proviennent des scellés détenus par le juge, soit le support d’enregistrement a d’abord été détenu, manipulé et diffusé par une tierce personne avant de parvenir au Tribunal militaire. Dans les deux cas la judiciarisation de ces écoutes est singulièrement compromise et devient totalement irrégulière. En outre, la retranscription des enregistrements d’écoutes n’apparaitra dans le dossier du juge d’instruction que bien plus tard alors qu’ils constituent les pièces maîtresses de l’inculpation et de la détention de personnalités civiles et militaires. Le juge d’instruction militaire a donc inculpé et détenu ces personnalités avant de présenter à leurs avocats deux mois plus tard les éléments qui ont justifié leur incarcération. Sans entrer dans le débat juridique de la légalité et de la loyauté de la preuve en matière pénale, force est de reconnaître que la tentative de judiciarisation des écoutes téléphoniques aux origines douteuses et non encore identifiées rend la procédure judiciaire inéquitable.
Les ingérences flagrantes des autorités de la transition
La déclaration faite sur les antennes de Savane FM le 4 décembre 2015 par M. Isaac Zida, Premier ministre du gouvernement de la transition relative à l’authenticité des enregistrements téléphoniques est la manifestation la plus visible de l’ingérence du gouvernement de la transition au mépris de la séparation des pouvoirs et en dépit de l’obligation de réserve qu’impose la fonction de Premier ministre. En outre, le rapport de la commission d’enquête gouvernementale établie parallèlement à la procédure d’instruction judiciaire et avec l’entière collaboration du juge d’instruction militaire (toutes les personnes inculpées ont été entendues avec son autorisation) le rapport d’enquête exclusivement transmis à M. Isaac Zida, Premier ministre, qui l’a fait publier par des médias. Ces ingérences ouvertes et organisées du chef du gouvernement ont eu pour but de manipuler l’opinion publique et d’orienter le travail du juge d’instruction militaire. Si en plus de ces ingérences grossières du gouvernement, soutenues à l’époque par le président du CNT, les enregistrements d’écoutes téléphoniques ont été fournis par le Premier ministre (comme tout semble l’indiquer) la procédure toute entière ne sera plus qu’une mascarade de justice.
L’éviction inédite des avocats non burkinabè
Le 25 novembre 2015 soit près de deux mois après le début de la procédure, le juge d’instruction du Tribunal militaire de Ouagadougou déclare irrecevables les constitutions d’avocats étrangers, se référant à l’article 31 du code de justice militaire. Ce faisant, il décide d’ignorer les dispositions de la Constitution du Burkina Faso (article 4), du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (article 14), de la Charte africaine des droits de l’homme (article 7).
L’article 4 de la Constitution du Burkina Faso stipule : « Le droit à la défense y compris celui de choisir librement son défenseur est garanti devant toutes les juridictions ». Cette disposition découle de toutes les conventions internationales ratifiées par le Burkina Faso et qui garantissent à tout accusé le droit d’être défendu par un avocat de son choix. Il s’agit là d’un élément fondamental du procès équitable. Concernant les avocats évincés, la décision du juge d’instruction militaire d’exclure les avocats étrangers de la procédure pénale viole gravement l’accord de coopération en matière de justice entre la République française et la République de Haute-Volta pour les avocats français. Cette décision viole aussi gravement les dispositions des règlements n°10/2006/CM/UEMOA et n°05/CM/UEMOA relatifs respectivement à la libre circulation et à l’établissement des avocats ressortissants de l’Union au sein de l’espace UEMOA, ainsi que la création d’un marché commun de la profession d’avocats.
Toutes ces dispositions ont valeur de convention internationale et comme tel, prévalent sur le droit national. Ces dispositions s’inscrivent aussi dans le champ des réserves de l’article 31 du code de justice militaire du Burkina Faso auquel le juge d’instruction militaire fait référence.
En réalité, la décision d’évincer les avocats étrangers de la procédure n’est conforme ni à l’article 4 de la Constitution du Burkina Faso ni même à l’article 31 du code de justice militaire. Il devient par conséquent impossible de garantir aux justiciables un procès équitable et transparent si les droits fondamentaux tels que celui de la défense sont bafoués par la juridiction d’instruction militaire.
L’émission d’un mandat d’arrêt international contre le Président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire et l’inculpation et la détention de personnalités civiles et militaires
Sans entrer dans les vices de forme que le Commissaire du gouvernement a soulevé lors de sa conférence de presse, il est ahurissant de constater que le juge d’instruction militaire a émis un mandat d’arrêt international contre la 2e personnalité d’un Etat voisin sur la base d’une écoute téléphonique dont l’origine demeure inconnue. Il en va même pour l’inculpation et la détention de personnalités civiles et militaires qui sont arbitrairement détenues pendant bientôt 5 mois avec comme élément essentiel de leur dossier judiciaire de prétendues écoutes téléphoniques aux origines inconnues et qui ont fait l’objet de manipulations extra judiciaires. Il est surprenant de constater que des actes majeurs de la procédure (mandat d’arrêt, inculpation, détention…) soient fondés sur des éléments juridiquement et techniquement contestables. En tout état de cause le doute est permis quant à l’origine des écoutes et leur fiabilité. Leur judiciarisation ne permettra certainement pas de garantir un procès équitable.
Au vu de toutes ces anomalies, la procédure judiciaire sur le putsch avorté du 16 septembre 2015 semble être bien minée.
De sources concordantes, il ressort que les autorités de la Transition ont fortement influencé, pour ne pas dire imposé, certaines décisions. Il appartient à la justice militaire de se mettre à l’abri et au-dessus de tout soupçon d’être instrumentalisée. Il est encore temps de corriger certaines erreurs pour crédibiliser la procédure judiciaire et rendre le procès véritablement équitable.
L’expertise de la bande audio : Pour Norbert Pheulpin elle n’est pas « intègre »
Le sonagramme de la bande sonore : en deçà du balisage jaune, c’est la conversation téléphonique. En deçà du balisage orange, l’enregistrement avec le dictaphone.
Les avocats de Bassolé n’ont pas pu disposer de la bande scellée du dossier. L’approche a consisté à rapprocher l’audio mis en circulation sur les réseaux sociaux (celui publié pour la première fois par le journaliste Théophile Kouamouo) et la transcription du document versé au dossier. En faisant cette comparaison on arrive à la conclusion que le document de 16 mn expertisé est effectivement celui que devrait détenir la justice.
Mais comme il y a eu des interceptions multiples et nombreuses il faut attendre d’en avoir le cœur net probablement au moment du jugement. Pour l’instant dans toutes les auditions, Bassolé et ses conseils refusent systématiquement les écoutes. Actuellement une procédure est pendante devant la Cour de cassation sur cette question.
Les résultats de l’expertise de Norbert Pheulpin ont été immédiatement transmis au juge d’instruction.
Qu’en est-il du contenu de cette expertise
Primo ; l’expert fait une analyse technique du flux de la conversation et de ses paramètres spectrographiques. Les spécialistes de la question savent qu’une conversation téléphonique n’a pas les mêmes caractéristiques spectrographiques qu’un enregistrement réalisé à l’aide d’un dictaphone. Le travail de Norbert Pheulpin a consisté donc à l’analyse acoustique et spectrographique de la bande des 16 mn publiée pour la première fois, par un journaliste ivoirien, courant novembre sur les réseaux sociaux. Il n’a pas identifié les voix.
Secundo, l’environnement acoustique de la conversation pendant les 16 mn varie beaucoup. Il pense donc que l’ensemble de la conversation n’a pas pu se dérouler dans le même espace pendant les 16 mn. Les familiers des productions audiovisuelles savent qu’à la fin de chaque prise, les preneurs de son font « l’enregistrement de l’ambiance » des lieux pour servir au studio au moment des montages. Cela permet d’avoir un fond sonore plus homogène sur les interventions séquencées. Dans le cadre d’une conversation téléphone supposée être réalisée d’un seul tenant pendant près de 16 mn, le fond sonore varie plus que de raison, selon Norbert Pheulpin.
Tertio ; la variation des spectres des paroles. En examinant la bande il est apparu aux yeux de l’expert qu’il y avait une juxtaposition de plusieurs fréquences de formes non identiques. Il en conclu que à minima, la bande est constituée à partir de deux sources ; une source téléphonique et une autre provenant d’un enregistrement réalisé avec un dictaphone. Norbert Pheulpin accompagne sa démonstration d’un « screen shot » du spectre de l’enregistrement.
Quarto ; la bande a été montée. L’expert avance trois explications techniques à cela. La première la façon dont le signal de la parole se rompt. En général quand on parle, un arrêt de la parole est suivi soit d’une respiration ou d’un tic. Dans le cadre d’un son monté cet aspect disparait. Il n’y a plus donc de réverbération. Deuxième explication l’analyse de la bande a mis en exergue une interruption artificielle d’une sonnerie d’un téléphone intervenu au moment du déroulement de la conversation. Enfin troisième explication une illustration technique d’un passage visiblement monté par la baisse du spectre de la voix dans l’articulation phonétique : « je suis rentré dans la base ». On a du accoler deux bouts pour former le mot souhaité. Cela évidemment se ressent dans l’articulation phonémique.
En considérant ces anomalies, l’expert conclut que :
1 - L’enregistrement n’est pas authentique au sens technique et acoustique du terme. Il est donc scientifiquement très éloigné d’une captation d’écoute téléphonique techniquement recevable.
2 - Pour que la présente écoute serve à la justice, il faut présenter l’enregistrement original, s’il a existé sous forme d’une communication homogène et linéaire. Celui qui est analysé et qui a été largement diffusé sur les réseaux sociaux, transcrit et joint au dossier, n’est pas « intègre ». L’enregistrement diffusé est une copie d’un montage ou d’une manipulation préalablement orchestrée.
Entretient réalisé par l'évenement