L’après-Jammeh : Un dénouement en questions

Entre fin 2016 et début 2017, les Gambiens ont vécu presque toutes les émotions. Ils ont connu successivement l’euphorie de la victoire d’Adama Barrow à la présidentielle, l’enthousiasme d’être débarrassé de Yaya Jammeh, qui reconnut sa défaite, la déception du revirement de ce dernier, l’angoisse de l’attente du dénouement de la médiation internationale, la peur d’une intervention militaire sanglante et, enfin, le soulagement à l’annonce d’une solution pacifique à la crise. Ce happy end leur permet d’envisager l’avenir avec optimisme, mais il pose questions.
Pourquoi la Guinée équatoriale ?

Plusieurs options étaient sur table : où ira Yaya Jammeh s’il accepte de quitter le pouvoir et de s’exiler ? Maroc, Nigeria, Mauritanie ou Guinée ? Finalement, surprise ! Il se rendra en Guinée équatoriale.

Selon le journaliste Francis Kpatindé, interrogé par Rfi, le choix de ce pays s’explique par son « éloignement » de la Gambie. D’autres observateurs estiment qu’en préférant d’aller chez Téodoro Obiang Nguema, Jammeh espère pouvoir échapper à des poursuites devant la CPI ; la Guinée équatoriale n’étant pas partie au statut de Rome.

Jammeh sera-t-il poursuivi ?

Celui qui a dirigé la Gambie d’une main ferme pendant 22 ans est accusé de plusieurs crimes qui, selon ses détracteurs, devraient le mener devant la Cour pénale internationale (Cpi). Assassinats du journaliste Deyda Aïdara et d’opposants gambiens. Arrestations arbitraires et tortures. Sans compter les nombreux détournements de deniers publics qu’il aurait commis.

Malgré tout, il n’est pas sûr que Jammeh répondra très vite devant un tribunal. Il s’est exilé en Guinée équatoriale avec son statut d’ancien chef d’État. Et dans une déclaration commune, lue peu après son départ, la Cedeao, l’Union africaine et l’Onu se portent garantes de ses avoirs et s’engagent à le protéger contre le « harcèlement » et la « chasse aux sorcières ».

En outre, visiblement, Adama Barrow n’accorde pas la priorité à des poursuites contre Jammeh. S’il martèle qu’aucune amnistie n’a été accordée à son prédécesseur, que tout ce qui se dit n’est que spéculations, il compte plus sur la mise en place d’une commission Vérité et Réconciliation dont les recommandations doivent permettre à son pays d’« aller de l'avant ».

À quand le retour de Barrow à Banjul ?

Le représentant du secrétaire général de l’Onu en Afrique de l’Ouest, Mohamed Ibn Chambas, estime qu’Adama Barrow doit rentrer au plus vite dans son pays. Le diplomate ghanéen est d’avis que la Gambie ne doit pas connaître une période de « latence, sans chef de l’État ».

Barrow, qui séjourne à Dakar depuis une semaine, a sans doute capté le message. Il a vite nommé une vice-présidente, Fatoumata Jallow-Tambajang, ex-ministre de la Santé de Jammeh, qui a démissionné de son poste pour rejoindre l’opposition. Pour son retour, par contre, il temporise : « Je ne peux pas programmer mon retour dans la mesure où nous sommes en consultation avec la Cedeao, a-t-il déclaré à la Bbc. La force étrangère (les soldats envoyés en Gambie par la Cedeao, Ndlr) est sur le terrain (en Gambie, Ndlr). La Cedeao me le communiquera lorsque je pourrai retourner en toute sécurité au pays. »

Les forces de la Cedeao sont en train de « sécuriser la Gambie » afin de faciliter son retour.

Les priorités de la Gambie ?

Pour Adama Barrow, la priorité c’est l’économie. « C'est une chose dont nous allons nous occuper dès que notre gouvernement sera mis en place, a indiqué le nouveau président gambien dans un entretien accordé à la Bbc. L'inflation a atteint un niveau jamais égalé, raison pour laquelle l'économie est très importante. Il n'y a rien dans les caisses. Mais nous espérons que beaucoup d'organisations feront preuve de compassion avec la Gambie. »

Mais il gagnerait à hâter le pas pour rebâtir son armée, réconcilier ses concitoyens et restaurer les institutions (Cour suprême, commission électorale, Assemblée nationale, etc.).

Quelle armée pour Barrow ?

Jammeh parti, 7000 soldats de la Cedeao ont pris position au niveau des points stratégiques du territoire gambien. Selon le général François Ndiaye, le commandant sénégalais de ces troupes, ce déploiement de soldats a pour but d’assurer la sécurité des populations et faciliter la prise de fonction du nouveau président.

Pendant ce temps, l’armée gambienne est confinée au rôle de spectatrice. Malgré les gages de loyauté donnés par son chef d’État-major, le général Ousmane Badjie (« Si nous avons fait 100% pour Jammeh, nous en ferons 150 pour Barrow »), elle ne joue aucun rôle actif dans le processus en cours. Pour combien de temps encore ?

Pour asseoir sa légitimité, ne pas passer pour le Président d’un pays occupé par des forces étrangères et alimenter les rancœurs au sein de ses propres troupes, Barrow devrait très vite ranimer son armée. Un vaste programme.

Jammeh, qui est un ancien militaire, compte sans doute encore quelques soutiens parmi les hauts gradés de l’armée gambienne. À preuve, au moment de prendre l’avion pour Conakry, certains militaires avaient les larmes aux yeux, selon un reporter de Rfi témoin de la scène.

À qui profite le dénouement ?

Les Présidents mauritanien et guinéen ont réussi là où les médiateurs de la Cedeao ont échoué. Mohamed Ould Abdel Aziz et Alpha Condé ont pu convaincre Jammeh de quitter le pouvoir alors que leurs homologues du Nigeria, du Liberia, du Ghana, avec les représentants de la Cedeao, de l’UA et de l’Onu, se sont heurtés à un mur. Pour autant, faut-il mettre le dénouement heureux de la crise gambienne à l’actif de Abdel Aziz et de Condé ?

Chacun cherchera sans doute à tirer la couverture à lui, mais une chose est sure : cette issue pacifique est une victoire d’équipe. Car n’eussent été, d’un côté, les pressions diplomatiques et militaires de la Cedeao et, de l’autre, le concours des Présidents guinéen et mauritanien, Jammeh n’aurait certainement pas quitté le pouvoir sans que la Gambie ne soit plongée dans le chaos.

 

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