Le 4 décembre 2015, le Premier ministre Yacouba Isaac Zida procédait au lancement officiel des travaux de construction de l’échangeur du Nord, à Ouagadougou. L’événement retient les attentions. Longtemps annoncée, plusieurs fois reportée, la mise en route de ce grand projet routier urbain suscite de grands espoirs au sein des populations, particulièrement les usagers de la route dans la partie nord de la capitale. 70 milliards FCFA, c’est ce que l’Etat burkinabè devra payer à l’entreprise SOGEA SATOM, pour voir la construction clés en mains de l’échangeur se concrétiser. A-t-on appris à l’occasion de la cérémonie de lancement des travaux, ce 4 décembre. Mais un coup d’œil sur certaines pièces du projet et l’on reste songeur. Le marché signé entre l’Etat burkinabè et l’entreprise attributaire, tout comme le régime fiscal appliqué au marché posent problème.
Jamais de mémoire de fiscaliste, on n’avait vu pareil régime fiscal, appliqué à un marché public, de surcroît un marché entièrement financé par le budget de l’Etat. Laisse entendre un spécialiste des impôts. Le dossier du marché de l’échangeur du Nord n’a pas manqué de susciter des curiosités au sein des services des impôts. En général, explique un technicien des impôts, deux types de régimes fiscaux sont appliqués aux marchés de travaux publics de ce genre exécutés au profit de l’Etat : lorsqu’il s’agit d’un projet exécuté sur un financement extérieur, c’est-à-dire, un projet financé par des bailleurs étrangers, le marché bénéficie d’un régime fiscal particulier. L’attributaire du marché peut être exonéré de certains impôts et taxes. Par contre, s’il s’agit d’un marché financé par le budget de l’Etat, c’est le régime de droit commun qui est appliqué. C'est-à-dire que tous les impôts et prévus en la matière sont appliqués intégralement. Dans le cas de l’échangeur du Nord, dont l’entreprise SOGEA/SATOM est attributaire, il s’agit d’un projet entièrement supporté par le budget de l’Etat. Par conséquent, c’est le régime de droit commun qui devrait s’appliquer. Mais curieusement, le dossier du marché donne à voir autre chose. D’abord, le marché signé entre le ministre des Infrastructures, du Désenclavement et des Transports, Daouda Traoré, et le Directeur général délégué de SOGEA/SATOM, Hervé Ronot, le 20 mai 2015, pose pas mal de problèmes. Concernant le coût du projet, contrairement au coût annoncé lors de la cérémonie de lancement officiel des travaux, à savoir 70 milliards FCFA, le document indique que l’Etat s’engage à payer à l’entrepreneur, la somme totale de 79 162 990 769 FCFA TTC. Plus devant, on peut lire que « L’Entrepreneur, ses sous-traitants, ses fournisseurs et l’ensemble de leurs personnels seront exemptés de tous droits, impôts et taxes directs et indirects (y compris la TVA) au titre des prestations et travaux du marché ». Ensuite, le document de « Régime fiscal et douanier » du marché est plus précis: on peut y lire que « les équipements et matériel (y compris les pièces détachées) de l’Entrepreneur et de ses sous-traitants bénéficieront du régime d’admission temporaire en franchises du paiement de tous droits et taxes (…) l’Entrepreneur enregistrera le présent Marché contre le paiement de la somme forfaitaire de dix mille (10 000) Francs CFA ». En définitive, l’entreprise est exonérée de presque tout : droits d’enregistrement ; droits de timbres ; patente ; TVA ; tous les droits et taxes de douanes y compris les prélèvements communautaires (pc et pcs) ; la taxe patronale et d’apprentissage ; l’impôt minimum forfaitaire ; l’impôt sur les sociétés, etc.
L’attributaire s’adresse aux services de la Direction générale des Impôts pour obtenir un certificat d’exonération. Mais lorsque le dossier parviendra aux impôts, il ne manque pas de surprendre plus d’une personne. On se demande à quelle logique répond ce marché. Qui a pu bien établir un tel régime fiscal ? Comment peut-on exonérer l’attributaire du marché à ce point ? Autant d’interrogations qui se bousculent dans les têtes sans trouver de réponses. Finalement, le Directeur général des Impôts finit par monter au créneau. Il écrit au ministre de l’Economie et des Finances. Nous sommes le 15 juin 2015. « J’ai l’honneur de soumettre à votre appréciation une préoccupation relative au régime fiscal contenu dans le marché N°30/00/(…) du 20 mai 2015 attribué à la société SOGEA SATOM et portant construction clef en main de l’échangeur du Nord de Ouagadougou qui a été présenté à la Direction des Grandes Entreprises pour les formalités d’enregistrement. Le DG égrène une longue liste d’impôts dont le régime fiscal exonère l’entreprise sans qu’il ne comprenne sur quelle base légale cela repose. « …Le régime fiscal prévu dans le marché est singulier à deux (02) titres : -il s’agit du premier marché sur financement du budget national à bénéficier d’un régime fiscal dont les exonérations vont au-delà des avantages accordés pour les marchés sur financement extérieur ; - il est prévu que SOGEA SATOM, entreprise établie au Burkina Faso et bénéficiaire de marché public, soit exemptée de tout impôt au Burkina Faso ». Relève le DG. Puis le DG des Impôts de relever que le marché tel signé, énonçant notamment que l’Etat doit payer un montant TTC de plus de 79 milliards FCFA, alors que l’entreprise est exonérée de toutes les taxes, peut prêter à confusion quant au montant de la dette de l’Etat envers le prestataire. « En présence d’un régime fiscal exonérant le marché de TVA, l’Etat s’engage-t-il à payer un montant TTC de 79 162 990 769 FCFA ? » Se demande-t-il. Mais il ne s’arrête pas là. Il fait le point du manque à gagner pour l’Etat, dans un tel marché, si jamais ce régime fiscal est maintenu. Plus de 14 milliards FCFA. C’est ce que l’Etat perd dans cette affaire, selon une première évaluation. Sans compter l’impôt sur les sociétés dû par SOGEA SATOM et les droits dus par ses sous-traitants, ses fournisseurs et ses employés. Le patron des impôts finit par faire savoir que, d’un point de vue législatif et réglementaire, ses services sont confrontés à de sérieux obstacles quant à la mise en œuvre d’un tel régime fiscal. Par exemple ; explique-t-il, pour l’émission de la fiche de décompte fiscal, il est fait obligation, lorsque le marché a un régime dérogatoire, de mentionner les références du document qui autorise ce régime. Il peut s’agir d’une disposition du code des impôts ou de la convention de financement. Or, pour ce marché-ci, poursuit-il, l’exonération des droits et taxes ne repose ni sur une disposition du code des impôts, ni sur une convention de financement, puisqu’il s’agit d’un financement sur le budget national.
Afin de restituer le régime fiscal applicable aux marchés publics et permettre l’exécution du marché attribué à SOGEA SATOM, le premier responsable des impôts propose un réaménagement. Celui-ci préconise l’exclusion d’office des sous-traitants, des fournisseurs et des employés de l’entreprise du régime fiscal. Ensuite, il prévoit l’application d’un régime fiscal de droit commun en matière des droits d’enregistrement, de timbre et d’impôt sur les sociétés. Enfin, le payement des prélèvements communautaires qui relèvent des institutions sous-régionales et dont le Burkina ne peut s’exonérer.
Dans une lettre en date du 3 novembre 2015, le ministre de l’Economie et des Finances s’adresse au responsable de SOGEA SATOM. « Par lettre ci-dessus référencé, vous avez soumis à mon attention, une demande visant à obtenir un certificat d’exonération TVA dans le cadre des travaux de construction clef en main de l’échangeur du Nord (…). En réponse, j’ai l’honneur de vous informer que pour permettre l’exécution du marché, son régime fiscal est réaménagé comme suit : les droits d’enregistrement du marché seront pris en charge par le budget de l’Etat ; les droits de douanes et la TVA grevant les importations de biens qui seront incorporés dans l’ouvrage seront pris en charge par le budget de l’Etat ; la TVA grevant les acquisitions de biens et services sur le marché local sera prise en charge par le budget de l’Etat… » A écrit le ministre. Il indique par ailleurs que les sous-traitants, les fournisseurs et les employés de SOGEA SATOM ne bénéficieront d’aucune exonération et resteront soumis à la fiscalité de droit commun.
Cette lettre du ministre des Finances ne satisfait toujours pas. Nombre de personnes ne comprennent toujours pas pourquoi autant de facilités offertes à la société SOGEA SATOM. Du côté du ministère en charge des infrastructures, on explique que le marché a un caractère particulier lié au fait qu’il s’agit d’une expérience nouvelle de PPP (partenariat public privé). On n’écarte donc pas l’éventualité d’insuffisances liées à cet état de fait. Aussi, on évoque les péripéties suivies par le projet qui date de l’ancien régime et la diversité des acteurs s’étant succédé dans sa gestion comme causes évidentes de certaines faiblesses. En plus, le partenaire privé aurait bénéficié de financements extérieurs à travers la contribution de banques privées étrangères dans le prêt obtenu par celui-ci auprès de sa banque locale au Burkina Faso. N’empêche ; toutes ces explications sont encore bien loin de convaincre beaucoup, eu égard à l’importance des facilités fiscales accordées au prestataire.