Ceci est un communiqué du Conseil Supérieur de la Magistrature concernant l' Affaire Adja de Komsilga
Dans son communiqué du 31 juillet 2023, le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) dénonçait l’irruption de militaires au Tribunal de grande instance Ouaga II le 28 juillet 2023 aux fins de soustraire dame NIKIEMA Laissa Amsétou ( Affaire Adja de Komsilga ) alors que celle-ci était placée sous mandat de dépôt du Procureur du Faso près ledit Tribunal pour complicité de coups et blessures volontaires, séquestration et actes de torture. Ces militaires l’ont ensuite conduite au petit matin du 29 juillet 2023 vers une destination inconnue de l’autorité judiciaire en charge du dossier.
Bien avant cette intervention du CSM. le Gouvernement avait. dans un communiqué du 29 juillet 2023, considéré ces faits comme « une série d’incompréhensions et de malentendus ayant entraîné des incidents regrettables et rassurait l’opinion que toutes les dispositions sont prises pour réserver le meilleur traitement à ce dossier dans le strict respect des principes de l’Etat de droit, de tolérance zéro à l’impunité, de préservation de la paix sociale et de la sécurité ».
Le 1er août 2023, une rencontre de concertation initiée par le Président de la Transition.
Garant de l’indépendance du pouvoir judiciaire, a réuni le président du CSM. les procureurs du Faso près les TGI Ouaga I et Il ainsi que quatre membres du Gouvernement composés des ministres de la Justice, de l’Administration territoriale, de l’Action humanitaire et du ministre délégué à la Sécurité. Le contenu des échanges lors de cette rencontre a laissé espérer un traitement de l’affaire dans le strict respect de la légalité républicaine.
Dans un communiqué du 04 août 2023, le Procureur Général près la Cour d’appel de Ouagadougou informait l’opinion publique que dame NIKIEMA Larissa Amsétou, objet du mandat de dépôt du Procureur du Faso près le TGI Ouaga II, sera incarcérée, à sa demande, à la Maison d’arrêt et de correction des armées (MACA), en attendant son jugement. Le même communiqué invitait le Directeur de la Maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou (MACO) à faire procéder à la mise en œuvre de cette décision.
Le CSM note que cette décision a été accueillie avec enthousiasme par le gouvernement qui, du reste n’a pas manqué d’exprimer sa reconnaissance à monsieur le Procureur général.
De son côté, le CSM voudrait se contenter de prendre acte de cette décision prise par le Procureur général en sa qualité d’autorité judiciaire. Il voudrait espérer que l’invocation de cette décision de monsieur le Procureur général près la Cour d’appel de Ouagadougou par le gouvernement marque. de la part de celui-ci, une volonté retrouvée de se conformer désormais aux actes de justice dans leur entièreté, y compris dans le dossier de madame NIKIEMA Larissa dite Adia Amsétou.
Tout en prenant acte du contenu dudit communiqué. le CSM s’autorise à s’interroger sur le fondement juridique et l’opérationnalisation de ladite décision. Comment en effet. le Directeur de la MACO peut-il transférer une prévenue qui n’a pas été écrouée dans son établissement ? La même interrogation se pose au CSM quant à l’intervention du Médiateur du Faso dans une procédure en cours devant une juridiction.
Dans un autre communiqué daté du 05 août 2023, le Gouvernement s’est défendu de toute immixtion dans une affaire judiciaire en avançant la thèse d’une munipulation orchestrée par des officines obscures à la solde d’intérêts étrangers. Abondant dans le même sens lors de son séjour dans la ville de Pô le 05 août 2023, le Président de la Transition, Garant de l’indépendance du pouvoir judiciaire, s’est également prononcé publiquement sur la même affaire en brandissant la thèse « d’une grosse conspiration » contre son pouvoir, tout en menaçant de sévir contre la justice dans les heures à venir.
Dans son propos, le Président de la Transition a affirmé également avoir repéré un certain nombre de magistrats « pourris et vendus » qui salissent l’image de la justice.
Le CSM. loin de verser dans la polémique. voudrait cependant faire quelques observations:
1.Il est constant que la crise actuelle est née suite à l’intrusion de militaires dans un palais de justice pour libérer une prévenue placée sous mandat de dépôt décerné par une autorité judiciaire pour présomption de complicité de coups et blessures volontaires. séquestration et actes de torture qui sont des infractions de droit commun:
2.L’agence nationale du renseignement (ANR) n’est pas une unité d’intervention mais un service de renseignements dont la mission est entre autre de collaborer avec les acteurs de la chaine pénale dans le cadre de la judiciarisation du renseignement;
3.S’agissant des allégations de complot. il serait judicieux de saisir les autorités judiciaires compétentes pour suite a donner :
4.Le conseil de discipline des magistrats se réjouirait d’être saisi directement ou par plainte ou dénonciation en ce qui concerne les magistrats « pourris et vendus » dont il a été affirmé l’existence d’une liste. Du reste. le pouvoir exécutif dispose d’une telle possibilité, notamment par la saisine directe du conseil de discipline par le ministre de la Justice. Il en est de même pour ce qui concerne les magistrats éventuellement manipulés qui peuvent faire l’objet de poursuites disciplinaires sans préjudice de poursuites judiciaires. le cas échéant;
5.Les acteurs judiciaires ont consenti des sacrifices énormes dans le traitement de centaines de dossiers d’actes de terrorisme qui expose au quotidien leur vie et celle de leurs familles. Cela commande que certaines affirmations soient mieux articulées afin de ne pas occulter la réponse judiciaire qui est une dimension essentielle dans la lutte contre le terrorisme et qui mobilise des acteurs judiciaires depuis les premières heures du terrorisme dans notre pays. Du reste. les acteurs judiciaires sont loin d’être les mieux dotés en moyens pour le traitement efficace des dossiers de terrorisme;
6.L’intervention surprenante de madame le Médiateur du Faso dans une affaire judiciaire en cours en violation des textes régissant cette institution. notamment l’article 13 de la loi organique n°017-2013/AN du 16 mai 2013 portant attributions, organisation et fonctionnement du Médiateur du Faso.
C’est le lieu de rappeler au Président de la Transition qu’en sa qualité de Garant constitutionnel de l’indépendance du pouvoir judiciaire, il existe un cadre statutaire d’échanges entre lui et le CSM pour aborder sereinement et de façon approfondie les questions liées au bon fonctionnement de la justice. Au demeurant, la prise de position publique du Garant de l’indépendance du pouvoir judiciaire en faveur d’une partie dans un dossier judiciaire viole le principe constitutionnel d’égalité des citoyens burkinabè devant la loi.
Quant aux décisions et réformes importantes que le Garant de l’indépendance du pouvoir judiciaire envisagerait, le CSM. sans en connaitre la teneur, voudrait cependant insister sur le fait que l’indépendance de la justice n’est pas un privilège pour les neteurs judiciaires et que son assujettissement ne nuirait pas non plus qu’aux seuls acteurs judiciaires. En tout état de cause, l’indépendance actuelle du pouvoir judiciaire découle de la volonté du peuple burkinabé exprimée à un moment donné de son histoire à travers le Pacte national pour le renouveau de la Justice du 28 mars 2015.
Au regard de tout ce qui précède, le Conseil supérieur de la magistrature :
- condamne une fois de plus les atteintes à la séparation des pouvoirs et a l’indépendance du pouvoir judiciaire;
-réitère ses félicitations et son soutien aux acteurs judiciaires du TGI Ouaga II pour avoir assumé conformément à la loi les obligations de leurs charges;
-félicite et encourage les éléments de la garde de sécurité pénitentiaire qui ont su gérer avec professionnalisme ces malheureux événements pour éviter le pire :
-invite l’ensemble des magistrats à se conformer en toutes circonstances à la légalité et à la dignité dans l’exercice de leurs fonctions;
-invite l’ensemble des acteurs judiciaires à rester sereins et à garder la plus grande lucidité afin de participer à la construction d’une justice burkinabé qui garantit l’égalité entre les justiciables;
-exprime sa gratitude aux ordres professionnels, aux associations et structures de défense des droits de l’homme, aux organisations syndicales ainsi qu’à toutes les personnes qui ont apporté leur soutien à l’appareil judiciaire.
Fait à Ouagadougou, le 09 août 2023
Le Président
Mazobé Jean KONDE
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