Légalité des sit-in au Burkina :voici l’avis de l’Organisation internationale du travail

Ceci est l’intégralité de la réponse que l’Organisation internationale du travail (OIT) avait donnée au gouvernement burkinabè, suite à sa demande d’avis sur la légalité des sit-in comme forme d’exercice de grève au Burkina. Tout en réaffirmant le droit des travailleurs à manifester pacifiquement pour défendre leurs intérêts professionnels, l’OIT précise que « tant que la grève reste pacifique, les piquets de grève et l’occupation des locaux devraient être permis ». 

Monsieur le Ministre,

Je fais suite à votre communication en date du 8 août 2014 par laquelle vous demandez un avis technique du Bureau sur la légalité des sit-in comme forme d’exercice du droit de grève.

Tout en vous rappelant la réserve d’usage selon laquelle la Constitution de l’Organisation internationale du travail (OIT) ne confère au Bureau international du travail aucune compétence spéciale pour donner une interprétation authentique des dispositions des conventions internationales du travail adoptées par la Conférence internationale du travail, j’ai le plaisir de vous présenter ci-après les principes dégagés par différents organes de contrôle de l’OIT sur les sit-in, sous réserve également des commentaires que ces derniers pourraient formuler à l’avenir à cet égard :

La Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations (CEACR) a observé que les mouvements de grève s’accompagnent souvent de la présence, à l’entrée des lieux de travail, de piquets de grève destinés à assurer le succès de l’action en persuadant les travailleurs concernés de ne pas travailler.

Selon la Commission d’experts, tant que la grève reste pacifique, les piquets de grève et l’occupation des locaux devraient être permis. Les limitations aux piquets de grève et à l’occupation des locaux ne peuvent être acceptées que si les actions perdent leur caractère pacifique.

Il est cependant nécessaire, dans tous les cas, de garantir le respect de la liberté de travail des non-grévistes et le droit de la direction de pénétrer dans les locaux. En conséquence, la Commission d’Experts estime que les autorités ne devraient recourir à la force publique en cas de grève que dans des circonstances exceptionnelles et des situations graves où l’ordre public est gravement menacé, et qu’un tel recours à la force doit être proportionnel à la situation [Voir étude d’ensemble de la CEACR, Conférence internationale du Travail, 101ème session, juin 2012]

Le Comité de la liberté syndicale a également été saisi de cas concernant les piquets de grève, et notamment l’impossibilité pour la direction d’accéder aux locaux de l’entreprise pendant la grève. A cet égard, le comité a eu à préciser que les piquets de grève organisés dans le respect de la loi ne doivent pas voir leur action entravée par les autorités publiques.

Leur interdiction ne se justifierait que si la grève perdait son caractère pacifique. Aussi, le seul fait de participer à un piquet de grève et d’inciter fermement, mais pacifiquement, les autres salariés à ne pas rejoindre leur poste de travail ne peut être considéré comme une action illégitime.

Il en va toutefois autrement lorsque le piquet de grève s’accompagne de violences ou d’entraves à la liberté du travail par contrainte exercée sur les non-grévistes, actes qui, dans beaucoup de pays, sont punis par la loi pénale.

En conséquence, le comité a considéré qu’une disposition légale interdisant aux piquets de grève de troubler l’ordre public et de menacer les travailleurs qui poursuivaient leurs occupations était légitime [Voir Recueil de décision et de principes du comité de la liberté syndicale, cinquième édition (révisée), 2006, paragr. 648, 649, 650 et 651].

Enfin, je me permets de vous rappeler les commentaires de 2013 de la CEACR concernant l’application par votre pays de la convention (n°87) sur la liberté syndicale et le protection du droit syndical, 1948, dans lesquels la commission rappelle la nécessité de modifier l’article 386 du Code du travail afin de supprimer l’interdiction d’occupation des lieux de travail ou de leurs abords immédiats, sous peine des sanctions pénales [voir demande directe de 2013 de la CEACR sur l’application de la convention n° 87].

S’agissant de l’organisation de sit-in en dehors d’un mouvement de grève, les organes de contrôle de l’OIT la considèrent comme l’exercice du droit de réunion et de manifestation. A cet égard, dans son étude d’ensemble de 2012, la Commission d’Experts a rappelé le lien essentiel entre les droits syndicaux et les libertés publiques tel que souligné par la Déclaration de Philadelphie (1944) et a réaffirmé que la liberté syndicale ne pouvait se développer pleinement que dans le contexte du respect des libertés publiques qui incluent la liberté de réunion.

De son côté, le Comité de la liberté syndicale a rappelé que les travailleurs doivent pouvoir jouir du droit de manifestation pacifique pour défendre leurs intérêts professionnels. Par exemple, le comité a précisé que le droit d’organiser des réunions publiques et des cortèges à l’occasion du 1er mai constitue un aspect important des droits syndicaux.

Cependant si, pour éviter des désordres, les autorités décident d’interdire une manifestation dans les quartiers les plus fréquents d’une ville, une telle interdiction ne constitue pas un obstacle à l’exercice des droits syndicaux, mais les autorités devraient s’efforcer de s’entendre avec les organisateurs de la manifestation afin de permettre sa tenue en un autre lieu ou des désordres ne seraient pas à craindre.

Les autorités ne devraient donc avoir recours à la force publique que dans des situations où l’ordre public serait sérieusement menacé. L’intervention de la force publique devrait rester proportionnée à la menace pour l’ordre public qu’il convient de contrôler, et les gouvernements devraient prendre des dispositions pour que les autorités compétentes reçoivent des instructions appropriées en vue d’éliminer le danger qu’impliquent les excès de violence lorsqu’il s’agit de contrôler des manifestations qui pourraient troubler l’ordre public.

Enfin, le comité a rappelé que si le droit de tenir des réunions syndicales est un élément essentiel de la liberté syndicale, les organisations sont toutefois tenues de respecter les dispositions générales relatives aux réunions publiques, principe énoncé également à l’article 8 de la convention n°87, d’après lequel les travailleurs et leurs organisations sont tenus, comme les autres personnes ou collectivités organisées, de respecter la légalité [ Voir Recueil du comité paragr. 133, 136, 140 et 143].

J’espère que les précisions ci-dessus vous seront utiles et j’ai l’avantage de vous rappeler que mon département se tient à votre disposition pour tout complément d’information que vous souhaiteriez.

Veuillez agréer, monsieur le Ministre, l’assurance de ma haute considération.

Pour le Directeur général :

Cléopatra Doumbia-Henry
Directrice du Département des Normes 
Internationales du travail

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