Les 10 jours qui ont conduit à l’insurrection

Il y a un an et personne n’avait vu venir. Ou c’est ce que nous avons longtemps cru. Rien de plus faux. 

Le 22 octobre 2014, le lendemain de ce conseil des ministres  extraordinaire qui adopte le projet de loi de révision constitutionnelle, le Chef de File de l’Opposition (CFOP) convoque une conférence de presse. Sur le présidium les mines sont patibulaires et graves, dans une ambiance où flottait une sorte de résignation. La veille, juste après l’annonce de la résolution du Conseil des ministres, les jeunes, dans les quartiers périphériques avaient commencé à brûler les pneus et à faire des barricades. Le CFOP ce jour, n’apporte pas son soutien à ces mouvements. Il biaise et se contente de demander la relaxe des jeunes interpelés. Le discours que prononcent les responsables nous parait être en complet décalage, avec l’état de l’opinion. Nous posons justement la question aux animateurs de la conférence. Ils sont gênés. Nous apprendrons par les apartés juste à la fin de la conférence de presse, que les responsables du CFOP en avaient discuté âprement dans les réunions qui ont précédées ce rendez-vous avec la presse et qu’ils n’avaient pas justement pu se mettre d’accord sur la bonne attitude à observer. Les partisans de hausser le ton à la hauteur du dépit de l’opinion, n’avaient pas forcément voix au chapitre. C’était par exemple le cas de Saran Sérémé. Au présidium elle semblait s’ennuyer du reste au milieu de cet aéropage conformiste et soucieux de ne pas sortir de la « légalité ». Le meeting du 28 octobre est annoncé ce jour, sans que personne n’imagine vraiment quel sera son ampleur et surtout quelle sera le ton de l’opposition. Le CFOP va-t-il enfin sortir de son conformisme et engager la bagarre ?

Une année 2014 charnière !

A la réalité l’année 2014 constate le murissement des idées démocratiques semées depuis le début de la décennie 1990 et dont l’épanouissement avait été régulièrement entravé par des intérêts divers sur lesquels Blaise Compaoré et son système avaient su jouer. Blaise Compaoré, que certains journalistes flagorneurs (nationaux même), appelaient de façon intéressée, « l’enfant terrible de Ziniairé » (ils ont oublié depuis et sont passés à de nouvelles pompes à cirer) avait su adopter deux attitudes qui lui ont réussi pendant deux décennies.
Primo ; Il appelait à la soupe et congédiait les appelés quand il n’en avait plus besoin. Ainsi a pu se constituer des vétérans « des vas et vient » à la soupe. A ces vétérans on adjoignait de nouveaux recrus à chaque cycle, comme en 2000, avec le gouvernement protocolaire. Mais la dialectique jouait aussi pleinement, parce que à chaque cycle de recrus pour la soupe correspondaient aussi des démariages avec des répudiés de plus en plus haineux. En 2007, à la veille des législatives, le groupe de Yao Marc s’en va plein d’amertume. Avec ce groupe s’inaugure une nouvelle race de répudiés avec l’esprit vengeresse. Avant les répudiés se cherchaient, heureux s’ils arrivaient à sauver leur nez. Avec le groupe à Yao Marc c’est le tournant. Les RSS qui quittent en 2012, après le congrès de mars, vont s’engouffrer dans cette brèche et l’élargir.
Secundo ; il concédait des ouvertures démocratiques, à doses homéopathiques, pour attirer ceux qui n’étaient pas sensible à la soupe. C’était aussi une façon habile de faire accepter le système. C’est ainsi par exemple que dès 2002, le système s’élargit avec l’arrivée de Laurent Bado et avec la vague à Benewendé Sankara. Cette période aussi est importante. Les « sankaristes » nouvelle génération,  consentent mener le combat à l’intérieur du système pour le faire évoluer, à défaut d’en prendre le contrôle. Ils ne mettent plus en avant la destruction du régime, mais son évolution par « plus de démocratie, l’élargissement des libertés et la bonne gouvernance ».
Mais leur influence sur le système sera très faible, pour ne pas dire plus. Admis dans un jeu, dont ils ne contrôlent pas les manettes, le système n’a pas du mal à les « désamorcer » en les minant de l’intérieur. Le leader putatif de cette nouvelle génération, Bénéwendé Sankara est désigné à la vindicte de ses propres ouailles qui le mettent en pièces à travers des procès contre son intégrité. C’est Norbert Tiendrebéogo qui est institué procureur redoutable de ce procès en « immoralité » contre Bénéwendé. On n’a jamais vraiment pu établir avec exactitude la véracité des éléments à charge, mais en réalité le but n’était pas de prouver, mais d’instituer le doute. Bénéwendé meurtrit par la violence de la charge s’est refermé. Son influence s’est étiolée. En 2011 quand commence le cycle qui conduit le régime à sa perte, Benewendé est un chef de file de l’opposition affaibli. Il ne peut pas fédérer les énergies anti Blaise qui s’échappent de toute part. Ce rôle reviendra à Zéphirin Diabré, dont le parti né un an auparavant, concentre deux avantages :
- Il connait le système pour l’avoir servi et n’apparait pas dans la posture d’un revanchard, puisqu’il l’a quitté en bon terme
- Ensuite il a une approche inédite dans son déploiement. S’agréger une élite qui sent le devoir de s’engager, mais ne trouve pas dans l’offre existante un cadre qui lui convient. Ensuite construire un parti qui a une assise nationale.   L’UPC qu’il crée en 2010 refuse de participer à la présidentielle de la même année. Mais son option stratégique de se ranger dans l’opposition grandit son aura. Aux élections couplées de 2012 L’UPC fait une entrée fulgurante dans l’arène politique. A Ouagadougou le nouveau parti est même majoritaire. Le CDP doit voler le scrutin, avec la complicité de la CENI et du Conseil Constitutionnel pour le priver de sa victoire. Mais malgré tout, il devient le chef de file de l’opposition. C’est à lui que reviendra la tâche d’abattre le régime. Il va s’y employé en déjouant les pièges.

Les derniers jours du régime…

Ce 22 octobre personne ne sait que le compte à rebours avait commencé pour Blaise Compaoré. Les esprits avaient beaucoup muris et s’étaient radicalisés. Plusieurs morts avaient fertilisé ce long chemin. Aujourd’hui, quand on parle de martyrs de l’insurrection, personne n’évoque ces nombreux morts. Pourtant il faut les y associer. Et ils sont nombreux. Il y a eu aussi beaucoup de larmes et de souffrances.
Dès 2012, les mécanismes qui vont précipiter la chute de Blaise Compaoré se mettent en place. L’opposition prend du galon. Une société civile nouvelle se met en place. L’ancienne ne flaire pas l’historicité du moment. Elle reste dans des schémas éculés. Les politiques vont susciter (ou encourager) l’émergence d’une nouvelle société civile, constituée d’une jeunesse qui a tété « les enseignements politiques façon aneb » et s’est aguerrie à « l’outrecuidance » pour ne pas dire à la « voyoucratie » façon « fesciste ». Un alliage donc du « Tenga » et du « diaspo ». Le Balai citoyen est le pur produit de cet alliage. A sa naissance il a vacillé entre ces deux courants avant de se stabiliser dans le courant « Diaspo » avec l’éjection de la bande à Domboué, anebiste pur jus.
L’année 2013 permet la maturation de cette nouvelle alliance. Son premier véritable fait d’arme c’est d’avoir réussi à empêcher l’instauration du Sénat en juillet 2013. Il restait à empêcher la tenue du referendum et pour cela, l’alliance avait besoin de nouveaux renforts. En janvier 2014, les RSS font scission avec le CDP et apporte à l’opposition plus de moyens et plus d’expertise. Les RSS en quittant fragilisent la base sociale du CDP. Le referendum devient dès lors très risqué à performer.
Blaise Compoaré espérait toujours réussir la révision de l’article 37. Pour y parvenir il lui restait la voie parlementaire. Il met tout en œuvre pour reconquérir l’ADF/RDA dont les 18 députés étaient indispensables pour réunir les ¾ nécessaires au parlement. En septembre 2014, l’ADF/RDA courtisé lourdement depuis le début de l’année, cède.  Blaise Compaoré croit pouvoir assouvir son dessein. Le 21 octobre, il franchit, pour son malheur, la ligne de sa perte.

Quand le destin s’emballe !

Les jours qui suivent le 21 octobre vont très vite. Personne n’a le temps de rien réaliser. Les plus avertis croient que le pays est désormais ingouvernable. La manifestation du 28 octobre est d’anthologie et irradie d’excès un Zéphirin Diabré qui lâche « maintenant c’est vraiment la patrie ou la mort… ». Les politiques restent quand même en retrait et ne s’associent pas au mot d’ordre du Balai citoyen de transformer la « place de la nation » en « place Tahrir ». Le projet tourne donc court. Samsk, Smockey et leurs ouailles sont délogés sans ménagement. Ils vont retourner réinvestir les artères principales de Ouagadougou où ils vont, dans une sorte de « rakiré » avec les forces de l’ordre, faire mousser le sentiment insurrectionnel. Le 29 octobre le régime interne ses députés à l’hôtel Azalaï. Le 30 octobre à 10 h, c’était sûr que la session de vote parlementaire allait avoir lieu. Il y avait deux inconnues : Les députés frondeurs au sein de la majorité allaient-ils s’abstenir ou voter contre, comme ils le promettaient ? Les 28 députés de l’opposition, arrivés en bus, depuis le siège du CFOP, pourraient-ils, même au moyen des coups de poing comme le disait Bénéwendé Sankara perturber la session ?

En fait la providence avait réservé mieux. Un envahissement du palais de l’assemblée nationale. Des députés qui ont fui sans demander leur reste. Une opposition, dans son ensemble, prise de court et obligée de courir depuis lors derrière les évènements.  La fuite de Blaise Compaoré le 31 octobre aggrave son largage.

Mais à la vérité, un an après et après des investigations, on peut dire avec certitude, que toute l’opposition n’était pas larguée. Quelqu’un, quelque part,  a tiré les ficelles, en organisant minutieusement la résistance et l’envahissement de l’assemblée nationale. Il a ordonné la mise à feu de l’assemblée nationale quand certains se satisfaisaient de sa mise à sac. Ensuite il s’est investie, sans en donner l’air, pour organiser et régenter la transition. L’impression que les politiques ont démissionné durant cette transition est tout ce qu’il y a de plus faux. Tout ça a été minutieusement organisé et maitrisé…C’est en matière politique une œuvre de vrai orfèvre. De ça nous en parlerons en temps opportun.    

Newton Ahmed Barry

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