Après Jonathan Pitroipa qui avait dénoncé le manque de professionnalisme de la Fédération burkinabè de football (FBF), un autre cadre de l’équipe nationale, en l’occurrence Aristide Bancé, monte, lui aussi, au créneau pour fustiger le mauvais comportement de certains éléments qui nuisent à l’équipe. Sans langue de bois, le joueur de Chippa United exige plus de professionnalisme des cadres pour ramener une bonne discipline dans l’équipe. Interview.
Sidwaya Sport (S.S): Quelle est l’ambiance qui prévaut dans le groupe aujourd’hui quand on sait que c’est votre premier regroupement après la défaite face au Botswana ?
Aristide Bancé (A.B) : Il y a une bonne ambiance certes, mais nous devrions fournir encore plus d’effort surtout nous les cadres. Quand je parle de cadres, ceux qui se sentent concernés se reconnaîtront. Nous devons être encore plus professionnels et donner le bon exemple afin que nos petits frères qui viennent puissent bien emboîter le pas. Je prends juste un exemple, quand on dit que le regroupement commence à partir de lundi, dès cette date, nous les cadres, nous devrions être là pour attendre nos petits frères qui vont venir. Quand ils viennent trouver que les grands frères sont déjà là, cela les oblige au strict respect du règlement. Mais ce n’est pas bien que les petits frères viennent avant nous et nous attendent pendant que nous traînions les pieds pour arriver avec un ou deux jours de retard. Il n’y a pas d’excuses et pour moi, cela doit changer. Dans les autres sélections que je connais, ces genres d’attitude n’existent pas. Quand on vient en équipe nationale, c’est pour jouer pour toute une nation.
Et la plupart du temps, c’est à cause de l’équipe nationale que nous voyageons lors des journées FIFA. On ne peut pas jouer en club et demander la permission à nos coachs ou à nos présidents pour s’absenter pour deux ou trois jours pendant la trêve internationale si on n’est pas sélectionné. On ne doit donc pas profiter de l’équipe nationale pour grignoter des jours de vacances pendant les regroupements. Pour que l’équipe puisse avancer et retrouver plus de discipline, nous les cadres, nous devrions être plus professionnels. Si nous ne donnons pas le bon exemple, on ne pourra pas parler de discipline à nos petits frères car ils nous regardent et cherchent à nous copier. Donc, nous devons avoir un comportement exemplaire.
S.S : Est-ce par rapport à ces écarts que les Etalons sont en panne de réussite ces derniers temps ?
A.B : C’est l’un des facteurs parmi tant d’autres. En 2013, on avait notre groupe au complet et il y régnait une bonne discipline. Aujourd’hui, je constate qu’il y a un laissez-aller. Ce qu’on ne fait pas dans nos clubs, il ne faut pas venir l’imposer en équipe nationale. Les Etalons, c’est pour l’intérêt supérieur de la nation. Il faut que tout un chacun fasse beaucoup d’efforts pour changer.
S.S : L’entraîneur n’a donc pas une mainmise sur ces brebis galeuses ?
Le coach n’a rien à voir là-dedans. C’est à chacun de faire son autocritique afin de s’imposer une autodiscipline. Quand l’entraîneur dresse sa liste et on lance les convocations, chacun sait quel jour rejoindre le lieu de regroupement. Mais certains joueurs se sont fait remarquer par leurs fréquents retards et le groupe met du temps à se former pour mieux entamer les séances. On ne peut pas bien travailler si on rejoint chaque fois la sélection de façon morcelée. Cela escamote et le travail du coach et celui du groupe. Mais il faut que l’entraîneur soit désormais exigeant sur les temps d’arrivée en sélection. Qu’il prenne ses responsabilités et mette de côté les éternels retardataires. Nous nous regroupons pour jouer et défendre le drapeau national, nous ne venons pas en vacances.
S.S : A vous entendre, les Etalons sont en train de perdre une de leur vertu cardinale à savoir la discipline de groupe ?
A.B : Sur le terrain, nous restons disciplinés mais c’est sur le plan comportemental que nous faillissons individuellement. Nous les cadres de l’équipe, nous devons diriger nos petits frères qui intègrent peu à peu l’équipe nationale afin qu’ils se sentent à l’aise. On doit faciliter leur intégration en causant énormément avec eux et non les marginaliser. Tôt ou tard, nous sommes amenés à leur passer la main car l’avenir leur appartient. C’est à travers nos différents comportements qu’on pourra leur montrer la droiture. Mais si nous ne leur parlons pas, ce n’est pas bien et des ego pourraient apparaître sur le terrain pendant ou après nous.
S.S : Mais que vous disent les membres fédéraux par rapport à cette situation ?
A.B : La Fédération essaie par moments de prendre langue avec nous pour amener les uns et les autres, surtout les cadres, à changer de comportement. Mais avant qu’on ne demande à la Fédération d’être professionnelle, c’est d’abord nous les joueurs qui devrions exprimer ce professionnalisme. Nous devons d’abord être professionnels avant d’exiger cela de la Fédération car nous sommes les premiers acteurs sur le terrain. Tout doit commencer par nous car la Fédération nous regarde. Je suis en équipe nationale depuis 2005 et parmi toutes les Fédérations que j’ai vu passer, c’est celle présente qui fait beaucoup d’efforts pour mettre l’équipe à l’aise et il faut reconnaître cela. Avant, on voyageait dans des conditions difficiles. Il n’y avait même pas d’avion, on se déplaçait avec des vols commerciaux. Aujourd’hui, on voyage avec des vols spéciaux. La Fédération fait beaucoup d’efforts et je la félicite pour cela. La FBF peut encore faire plus.
S.S : Que voulez-vous dire par la Fédération peut encore faire plus ?
A.B : Je veux juste dire qu’à la Fédération, chacun a son boulot et tout le monde doit être complémentaire. Si d’aventure la Fédération a du mal à élaborer ou à conduire un projet à bon port, elle peut faire appel à une expertise étrangère qui maîtrise mieux le sujet, pour l’aider à avancer. La FBF fait beaucoup d’efforts déjà.
S.S : La FBF n’a donc rien à voir avec les contreperformances actuelles des Etalons comme le pensent certains ?
A.B : Il faut être honnête et reconnaître que nous sommes les premiers acteurs. C’est nous qui jouons et la Fédération nous assiste. La CAN 2015 a été un échec total et nous sommes les premiers responsables. La Fédération a tout mis en place pour nous et nous avons échoué. Quand ça ne marche pas, c’est nous les joueurs et on ne doit pas chercher des faux fuyants. La Fédération a toujours été réglo sur les primes de match et les billets d’avion des joueurs. Aucun joueur ne peut se lever aujourd’hui pour aller à la FBF ou au ministère des Sports pour exiger quoi que ce soit. Beaucoup d’efforts sont faits au plan financier et nous leur demandons de continuer à nous soutenir. Dieu merci, notre prochain rendez-vous des éliminatoires de la CAN 2017 a lieu en mars 2016, sinon, s’il avait lieu tout de suite, cela allait être difficile. Nous avons le temps pour mieux nous préparer et certains pourront arriver à gratter du temps de jeu dans leur club pour être davantage compétitifs en revenant à leur meilleure forme. On a les joueurs qu’il faut pour aller chercher la qualification.
S.S : Quelles sont les raisons de l’échec de votre participation à la CAN 2015 ?
A.B : Le fait d’avoir disputé la finale de la CAN 2013 a fait croire à certains joueurs qu’on était arrivé et ils se sont laissé aller. Dans mon for intérieur, je savais que cette CAN 2015 allait être difficile car toutes les équipes nous attendaient de pied ferme. En 2013, nous étions les tocards de la compétition et nous nous sommes fait notre trou pour arriver en finale. En 2015, on nous a valsés dans la liste des favoris et nous sommes sortis la queue entre les jambes. Il aurait fallu que chacun sache d’où il vient et reste humble. Nous n’avons pas de Ronaldo ou de Messi dans notre équipe. Notre force a toujours été la solidarité. Nous n’avons qu’un seul bon joueur et c’est le groupe, ce n’est pas un individu. On doit donc s’associer pour n’en faire qu’un. On a toujours fait de bons matchs quand nous nous montrons solidaires. Mais rien ne peut aller si chacun veut faire son numéro. C’est la solidarité et l’ambiance du groupe qui nous a manqué à cette CAN 2015. Mais on espère que tout cela va changer très rapidement.
S.S : Un des cadres de l’équipe avait, lui, indexé la mauvaise organisation de la FBF, notamment les conditions d’hébergement de l’équipe, les équipements qui n’arrivent pas à temps et en nombre. Qu’en dites-vous ?
A.B : Il faut savoir d’où on vient. Nous sommes montés sur le terrain, nous nous sommes procuré des occasions à foison plus que tous nos adversaires mais la réussite nous a fuis devant les buts. On ne doit pas se réfugier derrière un aspect qui n’a rien à voir avec le terrain pour se disculper. On a été nul et nous sommes sortis au premier tour. Si on avait fait des matchs parfaits et qu’on s’était qualifié, tout le monde allait être content. On ne peut pas accuser une personne ou une structure, c’est toute l’équipe qui a failli. Et quand je parle d’équipe, ce sont les joueurs, les dirigeants et même les supporters. J’ai mal encore aujourd’hui pour les supporters qui étaient à Bata et qui croyaient fermement en nous et qui ont pleuré après notre élimination. Je n’accuse pas la FBF, elle a fait son devoir. En faisant un flash-back sur nos différentes participations aux CAN antérieures, on s’aperçoit que nos devanciers, à leur temps, vivaient des misères. Il n’y avait pas de conditions. Donc disons aujourd’hui Dieu merci car nous avons le minimum. C’est peut-être la génération à venir qui pourra bénéficier de meilleures conditions. D’année en année, nos conditions s’améliorent.
S.S : A vous entendre, il y a comme un malaise qui couve chez les Etalons ?
A.B : Non, il n’y a pas de malaise, tout le monde s’entend et il n’y a pas de problème. Mais je déplore certains comportements qui nuisent à la bonne communion du groupe surtout chez nous, les cadres. Je ne parle pas des jeunes qui viennent d’arriver. On doit donner l’exemple et toujours être là à l’heure. Il faudrait également que les jeunes sachent que quand ils viennent en sélection, c’est pour se battre. J’en connais plein qui ne mettent pas le pied, ils viennent simplement regarder et ils sont contents. On leur fait appel une ou deux fois et c’est fini. Après, ils sont les premiers à aller grommeler qu’on ne les fait pas jouer. Chacun doit se battre pour avoir sa place car l’équipe nationale n’est pas faite pour un groupe, ni pour un joueur. Ils n’ont qu’à croire en leur chance quand ils sont convoqués.
S.S : L’Ouganda a déjà pris le large avec six points dans votre groupe. C’est votre prochain adversaire. Est-ce bon pour vous de jouer la qualification dans cette double confrontation face à ce pays ?
A.B : Heureusement que nous observons une pause jusqu’en 2016, sinon, il nous manque de rythme et cela s’est justifié au Botswana. D’ici à maru 2016, tout le monde va se remettre dans le sens de la marche. Beaucoup ont commencé à jouer dans leur club et c’est bon car c’est la compétition qui manquait. Avec cette longue pause, les choses vont aller. Nous sommes meilleurs à toutes les équipes de notre poule, il nous faut croire en nous-mêmes. La qualification se jouera lors de la double confrontation face à l’Ouganda car on leur rend visite et on les reçoit chez nous une semaine plus tard. On aura notre mot à dire pendant cette période. On va aller chercher la victoire chez eux pour être d’abord à égalité de points et revenir chez nous pour asseoir la qualification. On ne se dira pas qu’il reste encore quatre matchs, nous voudrions assurer la qualification au cours de cette double confrontation. Avec les joueurs qu’on a, tout devra bien se passer.
S.S : Pourquoi avoir choisi d’aller jouer en Afrique du Sud si l’on sait que vous avez encore le talent pour intégrer un club européen ?
A.B : L’idée de jouer en Afrique du Sud trottait dans ma tête depuis 2013. Après la CAN, il y a une équipe qui m’a fait une très bonne proposition mais j’étais sous contrat ailleurs. Cette fois-ci, la proposition est revenue et je n’ai pas hésité. C’est vrai que c’est africain, mais je suis avant tout un joueur africain et évoluer dans un championnat ne me crée aucun complexe. Le championnat sud-africain est bien médiatisé, les clubs sont bien organisés et il y a de bons terrains. C’est donc normal de préférer là-bas par rapport au Kazakhstan. J’ai bien voulu jouer en France mais on me demandait de faire un essai auparavant. Mais avec mon expérience, je ne me vois pas en train de me soumettre à un test.
S.S : Qui donc a été à la base de votre arrivée en Afrique du Sud ?
A.B : Le président du club de Chippa United a contacté Mady Panandétiguiri depuis longtemps pour lui dire de me convaincre de venir jouer dans son club. Panandétiguiri et moi sommes donc allés sur place pour discuter. Le président n’a pas hésité sur les conditions que j’ai exigées avant ma signature. Sinon, je suis allé en Afrique du Sud par l’intermédiaire de Mady Panandétiguiri.
S.S : Vous avez une bonne génération de joueurs certes, mais qu’est-ce qui explique le fait que les cadres n’arrivent pas à trouver de bons clubs ?
A.B : Beaucoup de supporters se plaignent via les réseaux sociaux sur ce fait. Mais aujourd’hui, on doit comprendre une chose, ce n’est pas de notre faute. Beaucoup ont fait une superbe compétition pendant la CAN 2013 mais ils n’ont pas trouvé de club au sortir de ce tournoi. Pour ne pas dire que certains se sont même retrouvés sans club. Mais le jour où on aura la chance d’avoir un joueur qui va briller en sélection, être fréquemment sous les feux des projecteurs en Ligue des champions, amener le pays en Coupe du monde pour faire sortir le nom du Burkina Faso, des clubs vont maintenant s’intéresser aux joueurs burkinabè. L’avenir appartient donc aux jeunes et c’est peut-être eux qui pourront relever ce défi.
Ce n’est pas que les joueurs burkinabè ne sont pas ambitieux mais ils vont là où on les veut. Certains clubs aussi veulent prendre les joueurs mais ils veulent qu’on renonce à la sélection. De ce fait, beaucoup de clubs hésitent avant d’engager un joueur africain.
S.S : Un mot pour clore cet entretien ?
A.B : Je demande surtout aux joueurs qui évoluent encore au pays d’être patients, de bien s’aguerrir dans le championnat local avant d’embrasser le professionnalisme. On ne peut pas se lever sans auparavant faire ses preuves dans le championnat national pour espérer être professionnel directement. C’est de l’utopie. Dans notre groupe, 70% de l’effectif a joué dans le championnat burkinabè. Aujourd’hui, quand nous sommes en vacances, beaucoup d’entre nous joueurs professionnels ne vont pas au terrain pour suivre le championnat burkinabè et cela n’est pas bien. Quand on vient jouer en sélection, les mêmes joueurs qui sont les acteurs du championnat viennent remplir le stade pour nous soutenir.
Etre au stade nous aussi pendant les vacances pour les soutenir ne serait-ce que moralement, les motive. Je félicite aussi le public burkinabè car je constate aujourd’hui qu’il y a beaucoup de changement. J’étais surpris que contre les Comores, nous entrions à la pause avec un résultat nul et le public continue de nous soutenir sans faille. Je lui tire encore mon chapeau. Avant, on avait la pression due aux injures et autres jets de projectiles quand tu rates un contrôle ou qu’après le premier quart d’heure on n’avait pas encore trouvé le chemin des filets. Mais tout cela a commencé à changer. Il faut qu’il continue sur cette lancée car nous sommes burkinabè comme lui, on joue pour lui et grâce à lui, nous sommes motivés à chercher un résultat pour son plaisir.