Procès du Putsch de septembre 2015: Après son retrait du procès Me Paul Kéré s’explique

Dans cette tribune, Me Paul Kéré, Docteur en droit, avocat à la Cour et conseil de plusieurs inculpés du procès du putsch du Conseil National pour la Démocratie, explique pourquoi il a décidé de se retirer.

Par correspondance en date du 20 Avril 2018 au Chef de l’Etat burkinabè, garant de l’indépendance judiciaire, le Syndicat Autonome des Magistrats Burkinabè (SAMAB), a dénoncé, sans détour, des faits discriminatoires au sein du Ministère de la Justice.


A l’entame de cette lettre, le SAMAB, après avoir rappelé l’engagement et la volonté du Président du Faso de « bâtir une nation unifiée et départie de toute stigmatisation ou de toute discrimination sectaire… » l’organisation syndicale n’est pas passée par quatre chemins pour préciser ceci : « …depuis l’arrivée à la tête du Ministère de la Justice de Monsieur BAGORO Bessolé René en tant que Ministre de la justice, des Droits Humains et de la Promotion civique, Garde des Sceaux, sur le plan administratif, il y a une sorte de traitement manichéen des Magistrats suivant des considérations qui nous rappelle un esprit grégaire de velléités d’homme fort en appelant à des allégeances difficilement acceptables dans un contexte où l’on clame à tout vent que plus rien ne sera comme avant… »

Le Syndicat Autonome de la Magistrature ajoute : « Pour illustrer nos propos, nous avons tous assistés, comme tout le peuple burkinabè, aux multiples nominations de Magistrats au sein du Ministère de la Justice sans que le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) ne se prononce comme l’exige en ce moment notre Constitution... »

Enfin, le SAMAB a précisé que « Nous avons également assisté à des nominations de Magistrats à de hautes fonctions administratives ou diplomatiques sans que l’argument circonstancié de l’avis préalable du CSM ne soit brandi par notre si brillant Ministre de la Justice… »
Je saisis l’occasion offerte par cette correspondance de dénonciation de faits « discriminatoires et sectaire » par le SAMAB et conformément aux dispositions de l’article 8 de la Constitution du Burkina Faso de 1991 qui permet à tous citoyens burkinabè d’émettre librement son opinion pour justifier ma décision de quitter dignement le procès du coup de force du 16 Septembre 2015, En effet, les mêmes faits « discriminatoires » et « sectaires » ont entaché, à mon humble avis, le « dis » fonctionnement du Tribunal Militaire, toutes choses qui m’amènent à émettre, en vertu de l’article 8 de la Constitution Burkinabè précité, un avis personnel sur la suppression pure et simple de cette juridiction militaire.

Tout d’abord, sincère gratitude aux lecteurs pour leurs conseils permanents et le temps qu’ils prennent pour lire mes « longs » articles. Qu’ils sachent que le temps que je mets pour écrire mes opinions sont tout aussi précieux que le temps qu’ils mettent à me lire même si ceux qui écrivent longuement doivent avoir pitié de ceux qui les lisent qui ne sont pas, en tout état de cause, obligés de lire ces longs pamphlets.

Les nombreuses raisons de mon départ des dossiers de la procédure du coup de force (et non un coup d’Etat) des éléments du RSP, actuellement pendante devant le Tribunal Militaire sont les suivantes :

En préambule, que personne ne se méprenne sur les faits : il ne peut être sérieusement contestés, ni même contestables, que le 16 septembre 2015, à la suite de désaccords flagrants et d’escarmouches entre factions rivales internes au RSP, une poignée de sous-officiers du RSP, a fait irruption dans la salle du conseil des ministres du même jour, et pris en otage certaines autorités de la transition, régime d’exception, non démocratiquement élu par le peuple burkinabè…la charte étant, de mon point de vue, une minuscule plaisanterie « d’apprentis » constitutionnalistes !

La suite du film, chacun de nous le connaît jusqu’au renvoi, par arrêt du 29 Décembre 2017, de certains civils et militaires (pour lesquels j’assurais la défense pénale devant la chambre de première instance du Tribunal Militaire).

Au-delà d’une part, des péripéties et des pérégrinations procédurales sur le mode « discriminatoire » et « sectaire » de désignation des Magistrats civils chargés d’animer le Tribunal Militaire, et, d’autre part, s’agissant des contestations élevées par certains de mes confrères de la défense concernant la récusation même du Président de la chambre de première instance du Tribunal Militaire, pour lesquelles, je n’entends ni ratiociner ni même émettre le moindre avis en raison, notamment de l’excellence de mes relations avec le Président Seydou OUEDRAOGO, je voudrais, à travers ces quelques lignes, dénoncer vigoureusement à mon tour, avec la plus grande énergie le « dis » fonctionnement de ce Tribunal Militaire qui n’est pas, à mon humble avis, une juridiction équitable et respectueuse de l’Etat de Droit : Si j’étais le Garde des Sceaux du Burkina Faso, j’instruirai « illico presto », la suppression pure et simple de ce machin « ex cathedra », cette juridiction aux ordres dans tous les sens de ce terme. Le SAMAB a raison de dénoncer « … un esprit grégaire de velléités d’homme fort en appelant à des allégeances difficilement acceptables dans un contexte où l’on clame à tout vent que plus rien ne sera comme avant… ». Je dirai même que tout n’est pas mieux qu’avant…

A-t-on besoin de faire un dessin d’enfant d’autant plus qu’il se susurre dans les gargotes de Ouagadougou qu’un bonnet rouge aurait été mis à contribution pour le maintien du Garde ses Sceaux actuel à son poste lors du dernier renouvellement pour, justifie-t-on dans la rumeur, « terminer » les « chantiers à la Tandja ». J’ignore ce que cela signifie, mais il semble qu’une liste des inculpés et la sanction qui devait leur être infligée avait initialement été exhibée en haut lieu de la République et heureusement qu’une autorité bien inspirée sur le fonctionnement judiciaire et faisant preuve d’une vigilance éclairante aurait estimé que cette pratique serait gravement attentatoire au principe de fonctionnement d’une juridiction tout simplement.

Si tel était vraiment le cas et si cette pratique s’avère exacte, qu’on ne s’étonne donc pas que certains avocats de la défense se soient courageusement et dignement déportés d’une telle mascarade judiciaire en préparation dans un laboratoire occulte. Ce n’est pas parce qu’il y a des faits incontestables qu’il faut, pour autant, violer les règles de procédure pénale édictées par le législateur depuis des temps immémoriaux. Dès lors, pour ces raisons évidentes, et compte tenu de l’hostilité injustifiée de certains acteurs de ce Tribunal, j’ai décidé de me retirer dignement de ce procès. Que les acteurs de cette juridiction militaire aux ordres, sanctionnent les inculpés tout azimut comme bon leur semble et ce, au mépris des règles élémentaires d’un Etat de droit auquel j’aspire profondément dans l’intérêt exclusif du peuple burkinabè ;

Que ces acteurs du Tribunal Militaire sanctionnent les inculpés sans les avocats de la défense et nous nous donnons rendez-vous dans l’histoire de notre pays…

J’ai pris la décision de ne plus participer à cette foire d’empoigne judiciaire d’un Tribunal Militaire dont je réclame désormais, ouvertement et courageusement, sa suppression pure et simple.

En effet, tout au long de ces deux années de procédure d’instruction devant cette juridiction d’exception, j’ai particulièrement été choqué par certaines pratiques judiciaires pour lesquelles j’entends prendre directement l’opinion publique nationale de notre pays et internationale (européenne et onusienne) à témoin pour la postérité parce qu’une juridiction n’est crédible que si elle est équitable et respectueuse des règles de la procédure pénale tel que le législateur burkinabè l’a prévu. Que nenni !
Force est de constater que le Tribunal Militaire de Ouagadougou dans son fonctionnement actuel n’est pas exempt de nombreuses critiques objectives, en raison même de ce que le Ministre de la justice et des Droits humains, exerce seul et directement une autorité et un contrôle hiérarchique non seulement sur le choix des magistrats civils (du siège ou du Parquet) qui doivent animer cette juridiction militaire, mais de surcroît est partie intégrante d’un exécutif politique soumis aux autorités politiques du moment. Cette lettre de dénonciation du SAMAB du 20 Avril 2018 vient même nous enseigner que certaines décisions de nomination sont prises sans la moindre consultation du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) pourtant prévue par la Constitution. La violation de cette règle constitutionnelle par le Garde des Sceaux est tout aussi gravissime que celle de l’article 37 de la Constitution. Il faut donc prendre au sérieux cette dénonciation syndicale du SAMAB. Les avocats respectent suffisamment les Magistrats pour ne pas s’unir, comme un seul homme, à leur combat pour l’égalité et la justice dans notre pays. Les Magistrats, loin d’être des marionnettes, sont les sarments d’un pays. Sans la justice, c’est le chaos !

Dès lors qu’il s’agit, devant le Tribunal Militaire de Ouagadougou de juger des adversaires politiques, au-delà de la juste et légitime indemnisation des victimes ou de leurs ayant droits dont on pouvait créer un fonds spécial, n’importe quel citoyen burkinabè lambda comprend aisément la tentation de la subjectivité, pour ne pas dire de la haine viscérale avérée, mais surtout du zèle inopportun de certains acteurs de cette justice militaire dans la conduite de ce procès, toutes choses qui a fini par décrédibiliser définitivement ce Tribunal Militaire. Si les autorités politiques actuelles de notre pays étaient favorables à la réconciliation nationale, elles n’auraient pas attendu deux ans et demi pour installer les membres de cette réconciliation tant attendue. De même, elles n’auraient pas attendu tout ce temps pour commencer les interventions chirurgicales de certaines victimes. Un fond spécial d’indemnisation de toutes les victimes et de leurs ayant droits auraient amorcé la paix des cœurs…même si cette indemnisation ne pourra pas faire revenir les victimes à la vie.

C’est pourquoi, il conviendrait, le cas échéant, que le nouveau pouvoir en 2020 répare immédiatement ces gravissimes erreurs existentielles de cette juridiction militaire si elle n’est pas purement et simplement supprimée….Dans la quasi-totalité des pays en temps de paix, toute infraction à la discipline militaire est soumise aux juridictions civiles de droit commun et le fonctionnement n’est pas si mal…

Mes Chers compatriotes burkinabè il n’y a pas d’autres mots : Après 21 années de pratiques judiciaires en France, j’ai eu l’impression (et ce n’est pas une simple impression) que le Tribunal Militaire de Ouagadougou, (indépendamment de la nécessité absolue d’indemniser les victimes et de leurs ayant droits et sur laquelle j’insiste) est apparu, à mes yeux, comme un Tribunal de la vengeance publique et de règlement de compte des adversaires politiques. Il suffit de voir l’ensemble des œuvres du Colonel Sita SANGARE dans la salle des Banquets de Ouaga 2000 qui se comporte vraiment comme un « seigneur de guerre » alors qu’en principe, il n’a rien à faire dans cette salle d’audience. Il n’est ni témoin, ni juge du siège, ni parquetier mais simplement directeur administratif de la justice militaire. C’est comme si le Président du Tribunal de Grande Instance venait se pavaner dans les salles d’audience correctionnelle du TGI de Ouagadougou ou si le Premier Président de la Cour d’appel arpentait les salles d’audience de la Cour. La suppression de ce Tribunal et de ses acteurs zélés et débordants d’énergie haineuse est donc une absolue nécessité, ne serait-ce que pour la défense de l’Etat de Droit. Et pourtant, à titre personnel, je n’ai rien contre le Colonel Sita SANGARE, bien au contraire, c’est un garçon plutôt avenant et sympathique…envers lequel je suis reconnaissant…

Mais la défense de l’Etat de droit et de ses exigences dépasse le simple degré de relations personnelles et le Colonel Sita SANGARE le sait bien pour avoir vaillamment défendu les couleurs du Burkina Faso à l’Ecole Militaire de BINGERVILLE en République Sœur de Côte d’Ivoire. Ces critiques acerbes et sans complaisance, pour lesquelles j’assume officiellement et courageusement la paternité devant Dieu et devant les burkinabè dépassent le simple cadre de l’excellence de nos relations personnelles.

L’histoire me donnera, sans aucun doute, raison et je m’en vais donc, une fois de plus, à travers ces quelques lignes, vous donner des exemples précis de pratiques de ce Tribunal Militaire qui édifieront l’opinion publique nationale et qui me conduisent à me déporter, en mon âme et conscience, par dignité de cette procédure, biaisée dès le départ.

Je ne reviendrai pas dans cette procédure tronquée dès le départ, concernant le coup de force des éléments du RSP que lorsque les conditions minimales de respect de certains principes juridiques de la procédure pénale seront respectées par cette juridiction d’exception. Je mets de côté les scènes théâtrales inédites où, après une décision de justice rendue, le Tribunal Militaire refuse de l’appliquer en initiant sur ordre une autre décision d’assignation à résidence. Ce qui consiste en réalité à forcer un magistrat afin que celui-ci revienne sur sa décision déjà rendue et passée en force de chose jugée. Ou encore, que des forces de sécurité dont le plus gradé n’est pas officier trimbalent, « manu militari » un Général de Gendarmerie comme un vulgaire voleur en bousculant, au passage son avocate, auxiliaire de justice…

Morceaux choisis.
1. D’une part, nonobstant le fait que certains magistrats désignés, pour ne pas dire orientés par le Garde des Sceaux pour « animer » ce Tribunal Militaire ainsi que sa Chambre de Contrôle, d’autres magistrats honnêtes qui, de par leurs attributions présidentielles se sont attelés à respecter et à faire respecter la primauté du droit dans leurs décisions juridictionnelles ont été purement et simplement pas renouvelés à l’occasion du roulement annuel des membres du Tribunal Militaire. Ce qui tranche d’ailleurs avec le caractère inamovible du poste de Magistrat dans les juridictions civiles de droit commun. Le Tribunal Militaire et le Garde des Sceaux s’en foutent éperdument de ces principes élémentaires de l’inamovibilité des magistrats qui animent la vie de cette bancale juridiction militaire. Je pense au Président DABONE et au Président OUATTARA. Il semble même qu’en dépit de leur mise à l’écart, le Garde des Sceaux envisagerait, ironie du sort, des sanctions disciplinaires à l’égard du Président OUATTARA, (dont on peine à savoir quelle est la faute disciplinaire qui lui est imputable. Dans l’éventualité d’une instrumentalisation du CSM, loin s’en faut, il faut espérer que cette institution ne se laissera pas abuser. Le cordon ombilical entre le pouvoir exécutif et l’autorité judiciaire n’a pas été coupé avec le Président du Faso, pour retomber dans un autre travers pervers celui-là, savoir une éventuelle mainmise du Garde des Sceaux sur le SCM…ce n’est pas tout, pour illustrer mes propos, voici des exemples saillants.

2. Le cas de Madame Minata GUELWARE, une de mes clientes, nullement justiciable d’une quelconque infraction de droit commun est actuellement incarcérée à la Maison d’Arrêt et de Correction de Ouagadougou (MACO) et non à la Maison de d’Arrêt et de Correction des armées (MACA) aux motifs fallacieux et contestables qu’un règlement interne de la MACA interdit qu’une détenue de sexe féminin soit toute seule dans sa cellule. Et comme il n’existe aucune autre détenue de sexe féminin à la MACA, on ne peut donc pas la garder à la MACA. L’opinion publique nationale en jugera elle-même. Il y a même plus ! Contre toutes les règles de la procédure pénale, cette dame n’avait jamais été entendue par un Juge d’Instruction mais simplement par une Conseillère devant la chambre de contrôle en présence de deux parquetiers et placée arbitrairement, sans aucune preuve ou charge sérieuse en détention provisoire.

Tenez-vous bien ! Pendant la suspension d’audience, Madame Minata GUELWARE est allée se restaurer avec moi et de ce fait, la Conseillère en question a suggéré au Président de la juridiction militaire de déposer une plainte devant le Bâtonnier contre moi pour la simple raison que la cliente a déjeuné avec moi au maquis du Tribunal Militaire avec d’autres inculpés.

En 21 années de pratique judiciaire en France, je n’ai jamais vu un Magistrat suggérer un dépôt de plainte contre un avocat. L’histoire de ce pays nous contera la pratique « mouta mouta » de ce magistrat et nul au monde ne pourra empêcher la roue de tourner… Tôt ou tard, chacun récolte toujours le bénéfice de ses bienfaits ou de ses malfaisances…Celui qui vivra, verra la suite…

Enfin, pour clore le chapitre de Dame GUELWARE, dont le seul tort est de ne pas avoir sa « langue dans sa poche », il convient de rappeler que pendant l’audience de confirmation de charges, alors que celle-ci n’avait pas bénéficié du premier degré d’instruction le Procureur Militaire a affirmé, la main sur le cœur, que des photos mettaient en cause Dame GUELWARE pour avoir brûlé la radio de son propre oncle à Zorgho.

Une suspension d’audience par le Président OUATTARA de plus de deux heures n’a jamais permis au Procureur Militaire de retrouver ces photos et encore moins de les produire aux débats.

Et malgré tout, Dame GUELWARE a été maintenue en détention, en dépit de sa requête récente aux fins de mise en liberté provisoire devant la chambre de Première instance du Tribunal Militaire présidée par Monsieur Seydou OUEDRAOGO laquelle a été rejetée sur des réquisitions erronées d’un parquet militaire. Qu’attendre donc de ce Tribunal Militaire ? RIEN.

Même certains officiers du RSP, directement impliqués dans les prises de décisions sont en liberté provisoire, mais pas Madame Minata GUELWARE contre laquelle le Parquet Militaire n’a aucune photo de son implication à quoi que ce soit. Je comprends tous les inculpés qui ont fui le Burkina parce que ce Tribunal est inéquitable et partial, fonctionnant exclusivement à charge. Le principe judiciaire au pénal est qu’en cas de doute, on ne renvoie pas devant une juridiction.

Or, pour ce Tribunal, et, notamment devant la Chambre de Contrôle, en cas de doute, on renvoie les inculpés pour aller s’expliquer devant le Tribunal. Quelle pratique inculte du droit pénal !!! Mme GUELWARE ne sait même pas manipuler une simple arme de poing ou un pistolet. De ce constat amer d’un Tribunal militaire doublement aux ordres, qui fonctionne à charge, retenons ceci pour la postérité : Quelle que soit la longueur de la nuit, le jour finit toujours par se lever avec son soleil ardent et l’opinion publique burkinabè sait qu’après 27 ans de gouvernance, le Président Blaise Compaoré a été contraint à la démission.

Alors, acteurs de ce Tribunal Militaire que je dénonce véhément en vertu de l’article 8 de la Constitution, je me retire de votre procédure et surtout, ne tirez aucune leçon de ce retrait car l’histoire nous contera incontestablement la suite…

3. Le cas le plus désespérant de la pratique ignoble de ce Tribunal Militaire est celui de la mise en détention provisoire après le début de l’audience de jugement de Monsieur Abdoul Karim BAGUIAN, pour avoir été absent lors de la dernière audience. Alors qu’il n’est pas militaire de profession, il sera convoqué par le Parquet militaire, sans la présence de son avocat et immédiatement placé en détention provisoire à la MACA par le même Parquet tout seul, sans aucune intervention du Président de la Chambre de Première Instance, Monsieur Seydou OUEDRAOGO alors que l’ordonnance de renvoi devant cette juridiction a été rendu depuis le 29 Décembre 2017.

Or, dans une récente interview du sieur ZANRE, procureur militaire celui-ci a soutenu, la main sur le cœur une fois de plus, qu’il n’a aucun pouvoir de délivrer une quelconque autorisation de sortie du territoire pour Damiss et encore moins de placer un inculpé en détention provisoire après l’ordonnance de renvoi après avoir rendu une décision de renvoi faisant ainsi une grave confusion entre une décision d’incompétence et une décision de rejet. Si le parquet militaire se déclare incompétent, il doit rendre une décision d’incompétence et non une décision de rejet.

Mais faut-il en vouloir à cet officier qui n’est pas un Magistrat professionnel, lui qui a remis en cause mon diplôme de docteur en Droit devrait se renseigner auprès du Doyen Filiga Michel SAWADOGO, membre du jury de cette thèse de doctorat soutenue en 1994 à l’université de Paris I Panthéon la Sorbonne.

De qui se moque-t-il donc ce Procureur Militaire, ZANRE, en bafouant ainsi les libertés individuelles et collectives des inculpés parce qu’on est devant un Tribunal d’exception, militaire et aux ordres ?

Présenter des excuses à un « enfant gâté et pleurnichard » devant l’éternel ne signifie pas forcément qu’on a tort, mais bien au contraire une manifestation d’une grandeur d’esprit que de petits esprits mesquins ne peuvent appréhender. Que les non-croyants me pardonnent, mais Dieu voit les agissements des uns et des autres et la roue tourne. Elle tourne tellement beaucoup plus vite qu’on ne pourrait l’imaginer. Prenons donc rendez-vous pour la postérité !

Juridiquement, sans préjuger d’une quelconque culpabilité, la détention provisoire de Monsieur Abdoul Karim BAGUIAN est injustifiée. Et pour cause : Aux termes des dispositions de l’article 150 du Code de Procédure pénale,

« L’accusé qui a été mis en liberté provisoire ou qui n’a jamais été détenu au cours de l’information doit se constituer prisonnier au plus tard la veille de l’audience.
Les dispositions de l’alinéa précédent ne font pas obstacle, le cas échéant, à l’exécution par le ministère public de l’ordonnance de prise de corps prévue à l’article 215.

L’alinéa 3 du même texte dispose que « Toutefois, sont exceptés de cette mesure les accusés qui résident au siège de la [Cour d’appel] à moins que, dûment convoqués par voie administrative au greffe de la [chambre criminelle] et sans motif légitime d’excuse, ils ne se soient pas présentés au jour fixé pour être interrogés, par le président de la [chambre criminelle] ou par le magistrat qui le remplace.

Par ailleurs il est juridiquement acquis en application des dispositions de l’article 97 alinéa 8 du Code de Justice Militaire (CJM) adopté le 24 mai 1994 que les personnes civiles inculpées dans le cadre d’une procédure militaire sont soumises au Code de Procédure Pénale de droit commun de sorte que le Procureur Militaire doit impérativement appliquer le Code de Procédure Pénale aux inculpés civils

En effet, aux termes des dispositions de l’article 97 alinéa 8 du CJM, « Les dispositions du code de procédure pénale sont applicables aux mandats d’amener et d’arrêt décernés par les juges d’instruction près les juridictions militaires à l’encontre des personnes étrangères à l’Armée. Tel est le cas de Monsieur Abdoul Karim BAGUIAN qui est totalement étranger à l’Armée burkinabè.

C’est d’ailleurs ce que confirme l’alinéa 1 des dispositions de l’article 84 du CJM aux termes desquelles, « Lors de la première comparution, le juge d’instruction militaire procède conformément aux dispositions des articles 111 et 112 et suivants du code de procédure pénale… », dans la mesure où, « dès que le Commissaire du Gouvernement a donné l’ordre d’informer, l’inculpé est, par ce fait, mis à la disposition du juge d’instruction militaire, qui agit conformément aux articles 119 et 120 du code de Procédure Pénale… » ;

Enfin aux termes de l’alinéa 2 des dispositions de l’article 143 du Code de Procédure Pénale.
« …Après la mise en liberté provisoire, si l’inculpé invité à comparaître ne se présente pas ou si des circonstances nouvelles ou graves rendent sa détention nécessaire, le juge d’instruction ou la juridiction de jugement saisie de l’affaire peut décerner un nouveau mandat ».

Or, en l’espèce, c’est le parquet militaire qui a décidé unilatéralement en violation des pouvoirs du Président de la juridiction déjà saisie de jeter ce Monsieur à la MACA. Certes Monsieur Abdoul Karim BAGUIAN était absent de l’audience, mais celui-ci n’a jamais été invité à comparaître et la décision de le placer en détention provisoire a été prise par un parquetier sans la moindre décision du Président Seydou OUEDRAOGO. C’est la force, mais un jour la force changera de camp et des comptes seront inéluctablement rendus aux justiciables brimés.

Mieux, l’audience de la Première Chambre du Tribunal Militaire n’a pas encore procédé aux interrogatoires des inculpés de sorte que la détention actuelle de Monsieur Abdoul Karim BAGUIAN est illégale, sinon arbitraire du fait du seul parquet militaire.

La requête déposée également depuis plus de 15 jours, n’a reçu aucun traitement de sorte que cette pratique judiciaire du Tribunal Militaire est arbitraire et viole allègrement les droits de Monsieur Abdoul Karim BAGUIAN. Pour cette raison, et davantage, j’entends me déporter de cette procédure militaire irrespectueuse des droits élémentaires des inculpés. C’est un choix mûrement réfléchi et en protestation contre une telle pratique car aucun inculpé ne doit rien attendre de cette juridiction militaire.

Que le Parquet Militaire le sache une bonne fois pour toutes : Le combat de Monsieur Abdoul Karim BAGUIAN est un combat purement politique et ce combat-là, celui-ci est déterminé plus que jamais à le mener jusqu’au bout dans l’espoir du respect d’un Etat de Droit dans notre pays. Ce pays n’appartient à personne exclusivement mais au peuple burkinabè qui souffre de ces pratiques arrogantes et dictatoriales.

4. Enfin s’agissant de la détention provisoire de Monsieur Abdou COMPAORE, cette détention provisoire est la plus symptomatique du caractère arbitraire du Tribunal Militaire. On se demande si on ne marche pas sur la tête dans une dictature judiciaire militaire. En effet, ce cas devrait émouvoir l’opinion publique burkinabè et le peuple burkinabè tout entier épris de paix et de liberté.

Voilà un soldat de 1ère classe, alors qu’il est inculpé et placé en liberté provisoire est envoyée en mission extérieure en territoire malien pour une mission périlleuse au risque de sa vie que chacun sait. Ce soldat a pris le soin d’informer le greffier militaire ainsi que sa hiérarchie militaire avant d’obéir, comme c’est le cas dans l’armée à cette mission qu’il a accomplie avec loyauté, discipline et rigueur.

Dès l’ouverture du procès, le Procureur militaire, Monsieur ZANRE dira à l’audience qu’il est en route pour le retour. Dès son retour, il est « jeté » en prison à la MACA comme un malpropre sans aucun ménagement. Là encore, j’ai légalement introduit, une requête depuis plus de 15 jours et semble-t-il, une enquête aurait été diligentée par le Tribunal depuis la dernière audience du Tribunal Militaire pour savoir si ce soldat avait avisé sa hiérarchie de ce départ. Et plus rien ! Visiblement, la détention provisoire est devenue la règle pour le Parquet Militaire alors qu’en application des dispositions des articles 136 et suivants du Code de Procédure Pénale, ce devrait être une mesure exceptionnelle.

Le fait même d’avoir ordonné une enquête prouve en soi, le caractère arbitraire de ce Tribunal Militaire parce que dans l’armée, nul n’a besoin d’être officier ou Magistrat pour savoir qu’aucun soldat ne peut s’auto saisir d’une mission à l’extérieur sans que la hiérarchie militaire n’en soit informée. Par conséquent, aucun soldat ne peut effectuer une mission extérieure à l’insu de ses supérieurs hiérarchiques.

Pour l’ensemble de toutes ces raisons et compte tenu des pratiques judiciaires attentatoires aux libertés fondamentales des personnes inculpées, j’ai décidé à mon tour de me déporter, dès maintenant, de la procédure diligentée par le Parquet Militaire devant la Chambre de Première Instance concernant le coup de force du 16 septembre 2015 et d’en rendre compte à l’opinion publique nationale et internationale car ces propos seront transmis à toutes les instances internationales africaines, européennes et onusiennes.

Ce Tribunal Militaire peut, dès à présent, sanctionner à sa guise les inculpés sans défense ou défendus par des avocats commis d’office.

Cependant, non seulement je refuse catégoriquement de faire de la figuration ou de faire le pantin devant ce Tribunal Militaire, mais de plus, les acteurs de ce Tribunal doivent savoir, eu égard aux exemples précités que cette juridiction ne répond pas aux standards nationaux et internationaux d’une juridiction équitable.

D’ailleurs, faut-il rappeler cette évidence, les acteurs de ce Tribunal doivent savoir que la roue tourne et elle tournera aussi vite qu’ils ne le pensent….

Enfin, je dois conclure que la défense des victimes n’est pas le monopole d’une catégorie particulière d’avocats. Il est inutile de confesser que je suis tout autant attaché à la défense des victimes et de leurs ayant droits que je le suis pour le respect strict des règles procédurales qui doivent s’appliquer aux inculpés.

Les victimes ne gagneraient pas forcément ce que les inculpés ont perdu dans le non-respect de leurs droits élémentaires en matière de défense de leurs libertés individuelles et collectives.

Paul KERE
Docteur en Droit
Avocat à la Cour

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