Dans cette déclaration parvenue à notre rédaction , les organisations professionnelles des médias estiment que les grands principes énoncés lors de sa conférence de presse du Conseil Supérieur de la Communication ne sont viables que dans un contexte démocratique où les autorités assument leurs actes, rendent compte en toute transparence, sans chercher à se barricader derrière des lois liberticides.
Les organisations professionnelles des médias signataires de la présente déclaration expriment leur vive préoccupation face à la situation nationale marquée par des agressions terroristes toujours persistantes et d’une violence inouïe. En effet le 05 juin 2021 le Burkina Faso a encore été éprouvé par une attaque terroriste. Cette attaque, la plus meurtrière depuis le début du terrorisme dans notre pays, a causé, de source officielle, la mort de 132 de nos concitoyens, fait 40 blessés, provoqué le déplacement de 7644 personnes, dans la commune de Solhan, province du Yagha, région du Sahel.
L’Association des journalistes du Burkina Faso (AJB), le Syndicat autonome des travailleurs de l’information et de la culture (SYNATIC), la Société des éditeurs de la presse privée (SEP) et le Centre national de presse Norbert Zongo (CNP-NZ) expriment leur profonde désolation et adressent leurs condoléances les plus attristées aux familles des victimes, aux autorités nationales et à tout le peuple Burkinabè profondément meurtri par cet acte inqualifiable. Nos organisations s’inclinent devant la mémoire de nos disparus et adressent leurs compassions aux nombreux blessés physiques et psychologiques à qui elles souhaitent un prompt rétablissement.
La barbarie de Solhan révèle une fois de plus, la complexité de la question sécuritaire et nos limites à divers niveaux à y faire face. Afin de nous améliorer pour aller de l’avant, nous devons en toute lucidité nous questionner sur les capacités et responsabilités d’un certain nombre d’acteurs dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Ainsi il y a lieu, sans être exhaustif, de s’interroger sur :
• la responsabilité militaire et les capacités de nos forces de défense et de sécurité à protéger les populations et à défendre le territoire national,
• la responsabilité politique de nos autorités notamment le Gouvernement, et leurs capacités à défendre et protéger les Burkinabè et le territoire national,
• la responsabilité professionnelle et sociale ainsi que la capacité de nos médias et journalistes à remplir convenablement leurs missions de service public d’information.
De la responsabilité militaire
L’on a conscience que ces trois acteurs ne sont pas les seuls à détenir la clé de la solution au terrorisme. Toutefois, leur action est déterminante surtout dans les situations d’urgence telles que nous l’avons vécu ces derniers jours avec le drame survenu à Solhan. Loin de nous l’idée de faire le procès de qui que ce soit, mais il y a lieu de reconnaître, et c’est une vérité de Lapalissade, qu’à chacun de ces trois niveaux (militaire, politique, médiatique) des manquements et pas des moindres sont constatables et cela de manière récurrente depuis 2015 que le Burkina Faso est engagé dans cette lutte contre le terrorisme.
Tout en saluant le sacrifice de nos forces de défense et de sécurité qui ont payé et continuent de payer un lourd tribut dans cette guerre, force est de constater que des insatisfactions et des interrogations légitimes se font entendre quant à l’efficacité de nos stratégies et dispositifs militaires. Et pour preuve, Solhan a été attaquée au moment même où la commune toute entière et par-delà la région est soumise à un état d’urgence et un couvre-feu strict imposé aux populations, obligées de se cantonner.
En pareille situation de couvre-feu et d’état d’urgence, le destin des populations, plus que dans n’importe quelles autres circonstances, est entre les mains des forces de défense et de sécurité. Et pourtant cette triste nuit du 4 au 5 juin, les populations de Solhan ont été massacrées sans avoir reçu une assistance. Cela est d’autant incompréhensible qu’un détachement militaire est positionné à Sebba, à seulement une quinzaine de kilomètre du lieu où s’est déroulé le massacre. On l’aura compris, quelque chose n’a pas fonctionné. Mais quoi ? Qui en sont les responsables ? Y aurait-il eu des sanctions ? Sur ces questions de fond, nos autorités militaires et surtout politiques sont restées muettes jusque-là.
De la responsabilité politique
Au niveau politique, la gestion de la crise par le gouvernement à différents niveaux est des plus scabreuses : communications vagues, sporadiques, et tardives, deuil national sans conviction, mission gouvernementale sur le terrain 48h après les évènements dramatiques, ... Voilà un résumé de ce que le gouvernement a pu faire au moment où plus d’une centaine de citoyens ont été tués parce qu’ils sont Burkinabè ou vivent sur le sol du Burkina Faso.
De la responsabilité des médias
Les évènements de Solhan ont connu un emballement médiatique aussi bien au plan national qu’international. Les journalistes ont travaillé dans un contexte difficile où on a pu noter une volonté manifeste des détenteurs de l’information de ne pas la partager avec les médias et l’opinion publique en général. Au moment où les journalistes devaient s’attendre à une conférence de presse des autorités gouvernementales ou militaires, c’est plutôt à un mur de silence qu’ils ont été confrontés. Dans ces conditions, les médias ont travaillé avec des sources locales et anonymes. Tout semblait aller ainsi pour le mieux jusqu’à cette information du dimanche 6 juin 2021 faisant cas d’un supposé car de transport en commun intercepté par des terroristes sur l’axe Dori-Sebba et dont les occupants auraient tous été exécutés.
L’information est diffusée par plusieurs médias à la fois, tous sur la base de sources locales et anonymes. Il a fallu attendre l’après-midi pour qu’un communiqué de l’Etat-major général des armées vienne démentir cette information. Dans le même communiqué, l’Etat-major dément également une attaque à Dambam et l’information selon laquelle les auteurs du massacre de Solhan sont revenus sur les lieux de leur forfait quelques heures après leur premier passage. Ce communiqué, largement diffusé par les médias et les réseaux sociaux, jette le doute sinon le discrédit sur les informations diffusées par les médias. La suite on la connait.
Dans la même soirée, le groupe Oméga médias a relevé son rédacteur en chef de ses fonctions. La direction explique que cette décision fait suite à la « diffusion d’informations par la radio qui se sont révélées fausses ». Le groupe s’est en plus excusé auprès de ses auditeurs, téléspectateurs et followers.
Le lundi 7 juin les responsables du groupe ont été auditionnés par le Conseil supérieur de la communication (CSC) et une décision de suspension a été rendue publique le mardi 8 juin dans la soirée. Selon la décision, la radio et la télévision du groupe Oméga médias sont suspendues pour 120 heures à compter du 9 juin 2021 jusqu’au dimanche 13 juin inclus. Tels sont les faits.
De nos observations
En tant qu’organisations professionnelles des médias, soucieuses de la défense de la liberté d’expression et de la presse et du respect des règles éthiques et déontologiques de notre métier, ces faits appellent quelques observations de notre part.
Premièrement, l’AJB, la SEP, le SYNATIC et le CNP-NZ regrettent la diffusion par des médias d’informations qui se sont révélées fausses ou dont la véracité n’a pas été établie. Faut-il le rappeler, cela constitue un manquement grave à la charte d’éthique des journalistes du Burkina qui prescrit en son article 2 : « Le journaliste burkinabè est tenu de publier des informations justes dont les sources sont vérifiables, dans le souci de l’intérêt général ».
Deuxièmement, nos organisations notent que le groupe Oméga médias a, d’une part reconnu ses erreurs, présenté ses excuses au public et d’autre part, pris des mesures conservatoires immédiates notamment par le limogeage de son rédacteur en chef et l’arrêt de la diffusion des informations controversées.
Troisièmement, nos organisations prennent acte de la conférence de presse magistrale de l’instance de régulation (09 juin 2021) pour justifier sa décision de suspension du groupe Oméga médias. Toutefois, il y a lieu de rappeler la responsabilité historique du CSC dans la construction d’un environnement de rétention de l’information. Les grands principes énoncés lors de sa conférence de presse ne sont viables que dans un contexte démocratique où les autorités assument leurs actes, rendent compte en toute transparence, sans chercher à se barricader derrière des lois liberticides comme c’est le cas avec l’adoption de la loi n°044-2019/AN du 21 juin 2019 portant modification du code pénal au Burkina Faso. Mieux ou pire, les autorités se sont montrées incapables, pendant plus de cinq ans, de mettre en œuvre une loi, la loi 051-2015/CNT portant droit d’accès à l’information publique et aux documents administratifs, adoptée depuis 2015.
Tout cela dénote une volonté affichée des autorités de museler la presse et de priver les citoyens de leur droit constitutionnel à l’information (Article 8 de la Constitution du Burkina Faso).
De la décision du Conseil supérieur de la communication
En décidant de suspendre un média, mais en fait plusieurs médias car le groupe Oméga c’est deux radios (Ouagadougou et Bobo-Dioulasso), une télévision, un site internet et plusieurs plateformes numériques, l’autorité de régulation a pris une sanction très lourde, disproportionnée et sans précédent dans laquelle elle semble n’avoir trouvé aucune circonstance atténuante au groupe de presse. La mesure conservatoire qui vaut sanction lourde et qui a consisté au relèvement du rédacteur en chef de ses fonctions est un acte de contrition de la part du groupe de presse et ses responsables. L’emballement qu’il y a eu autour de cette faute avouée par Oméga et tout ce qui s’en est suivi accréditent à nos yeux la thèse selon laquelle il s’agirait d’une affaire grossie pour noyer le poisson.
En effet, l’affaire, la véritable affaire demeure bel et bien le massacre inacceptable de 132 de nos concitoyens et l’impuissance de nos autorités. Oméga médias au moins a sanctionné son responsable de l’information, présenté ses excuses publiques et c’est à son honneur et à l’honneur de toute la corporation. C’est un fait majeur qu’il faut noter.
Qu’en est-t-il du Gouvernement ? Nous constatons que personne n’a encore, été sanctionnée. Personne n’a admis publiquement sa faute ou sa responsabilité dans le carnage de Solhan. Qu’a fait le Chef de l’Etat depuis la survenue du massacre ? Le Président du Faso et son gouvernement n’ont pas bougé, ils ont observé leur week-end paisiblement pour finalement effectuer une visite de parade dans le Sahel 48h après les évènements tragiques. Le drame de Solhan n’a mérité ni un Conseil des ministres extraordinaire, ni un conseil de défense encore moins une adresse du Chef de l’Etat à la Nation.
Le Conseil des ministres, instance décisionnelle la plus haute de l’Exécutif a délibéré en séance ordinaire le mercredi 09 juin 2021 et on n’y retrouve qu’une communication orale du ministre en charge de la communication et Porte-parole du gouvernement qui fait le point de la « visite de soutien et de solidarité du gouvernement aux populations victimes de l’attaque de Solhan ». Dans un tel contexte de passivité voire de démission, la sanction prise par le CSC est manifestement disproportionnée.
Dans un autre registre, la décision du CSC parait arbitraire et abusive en ce sens qu’elle déborde l’esprit et la lettre des dispositions visées par les conseillers. La loi organique N°015-2013/AN portant attributions, composition, organisation et fonctionnement du CSC dispose au titre des sanctions en son article 46 qu’en cas de manquement le CSC peut prononcer « la suspension de la publication, de l’édition, de la diffusion ou de la distribution du ou des services d’une catégorie de programme, d’une partie du programme, ou d’une ou plusieurs séquences publicitaires pour un mois au plus ».
L’esprit et la lettre de cette disposition, laissent comprendre que le CSC est fondé à suspendre la diffusion d’une catégorie de programme ou d’une partie du programme et non à suspendre l’ensemble des programmes d’un média audiovisuel. Si une suspension ciblée d’un programme spécifique ne satisfait pas le CSC, la seule option qui lui restait était « le retrait de l’autorisation d’exploitation », sanction extrême que nous ne saurions recommander.
Au regard de tout ce qui précède, l’AJB, la SEP, le SYNATIC et le CNP-NZ :
• regrettent une fois de plus les manquements professionnels dont se sont rendus coupables plusieurs médias dans le traitement de l’affaire Solhan,
• relèvent que ces manquements sont en partie imputables à un environnement fait de rétention de l’information,
• appellent les médias et les confrères à redoubler de vigilance et de professionnalisme dans le traitement de l’information en tout lieu et en toutes circonstances,
• encouragent les médias et les journalistes à ne point se laisser intimider par les velléités de musèlement de la presse d’où qu’elles viennent. Aucun sujet, surtout pas la question sécuritaire qui endeuille notre pays et remet en cause l’intégrité territoriale du Burkina Faso ne doit être tabou ou un sens interdit pour les journalistes,
• dénoncent la décision du Conseil supérieur de la communication en ce qu’elle est disproportionnée et abusive,
• rappellent que le CSC, plutôt que d’être une instance de répression, se doit d’être un défenseur de la liberté de presse. A ce titre le combat pour l’accès à l’information doit être sa priorité,
• invitent les organisations de la société civile, les citoyens à défendre le droit à l’information, droit constitutionnel reconnu à tout Burkinabè,
• saluent la résilience des populations martyrisées dans les zones en proie aux affres du terrorisme,
• s’inclinent devant le dévouement et le sacrifice de nos forces de défense et sécurité dans la protection des populations et la défense du territoire national,
• exhortent les autorités militaires, paramilitaires et politiques à tout mettre en œuvre pour relever le défi sécuritaire,
• rappellent aux autorités militaires et politiques que les médias et leurs organisations professionnelles demeurent des partenaires dans la lutte contre le terrorisme et cela dans le respect mutuel des missions dévolues à chacun.
Fait à Ouagadougou, le 10 juin 2021
Ont signé
Pour l’AJB,
Le président
Guézouma Sanogo
Pour la SEP,
Le président
Boureima Ouédraogo
Pour le SYNATIC
Le Secrétaire général adjoint
Aboubakar Sanfo
Pour le CNP-NZ
Le président du comité de pilotage
Siriki Dramé