Pénurie d’eau à Dori : une corvée jusqu’au bout de la nuit

Depuis février 2019, les habitants de Dori, chef-lieu de la région du Sahel, font des pieds et des mains pour se procurer l’eau. La raison : l’Office national de l’eau et de l’assainissement (ONEA) n’arrive pas à desservir la ville et les villages environnants. Les femmes sont les premières victimes de cette situation. Constat.

Peu avant 21 heures, ce mardi 21 mai 2019, Adjara Ouattara et Oumou Cissé du secteur n°4, toutes voilées, errent devant le Bureau de garnison (BG) du 11e Régiment d’infanterie commando (RIC) de Dori, non loin du rond-point Hama-Arba- Diallo. Epuisées tant par le carême musulman que par les travaux ménagers, elles sillonnent la ville à la recherche d’eau. Adjara, qui pousse une charrette remplie de huit bidons de 20 litres, et sa voisine Oumou, également chargée, expliquent que depuis plus de deux heures, elles sont en quête du liquide précieux. Dame Ouattara précise qu’elle tourne en rond depuis 18 h 30 mn. Après s’être rendue dans deux endroits où elle espérait trouver de l’eau, elle est retournée bredouille à domicile. Même galère pour Oumou, qui dit être allée à la mosquée pour accomplir sa prière, avant de rentrer à la maison. Pour autant, les deux jeunes femmes ne vont pas dormir. Elles vont passer une longue nuit à la recherche d’eau. Arrivées à 21h devant la «Maison blanche» (logements pour agents de santé nouvellement affectés au CHR de Dori), elles trouvent des militaires assis au bord de la voie. Chargées de leurs bidons, elles lancent un bonsoir de politesse et s’introduisent dans la cour. Elles expriment leur joie du fait qu’il n’y ait pas assez de monde ce soir-là. En effet, quatre jeunes hommes munis de 26 bidons ont investi les lieux avant elles. A ceux-là, s’ajoutent quelques habitants qui viennent remplir un ou deux bidons. C’est dans cette ambiance conviviale que les chercheuses d’eau, habituées des lieux, intègrent la file d’attente. On discute de tout et de rien.

Avoir l’eau à tout prix

Certes, la file d’attente n’est pas longue, mais la pression de l’eau est faible. Toute chose qui amène les usagers à patienter environ 5 minutes pour remplir un bidon de 20 litres. L’attente devient longue, mais les deux jeunes dames disent ne pas avoir d’alternative, parce qu’elles doivent retourner à la maison avec l’eau. Selon Adjara Ouattara, une règle avait été établie pour éviter les disputes autour du robinet, mais ceux qui les ont précédées n’ont pas voulu s’y conformer. Elles affirment qu’en cas de grande affluence autour du robinet, chacun remplit un ou deux bidons, de sorte que tout le monde soit servi. Mais hélas, déplorent-elles, les devanciers ont rejeté cette règle. «Il arrive qu’une personne remplisse une dizaine ou une vingtaine de bidons, tandis que d’autres n’ont aucune goutte d’eau ni pour boire ni pour cuisiner. Il y a également ceux qui arrivent et veulent se servir sur-le-champ. Tout cela engendre des disputes qui se soldent par des bagarres, d’où la mise en place de cette règle», explique dame Ouattara. Il est 22 h 10 mn et c’est le tour des deux jeunes dames de remplir leurs bidons.

Ce qu’elles font à tour de rôle. «Dieu merci, mon tour est arrivé. Mais je suis fatiguée et j’ai faim. Surtout, je suis inquiète pour ma fille parce que je ne l’ai ni douchée ni nourrie avant de sortir. J’ai bu seulement du zoom-koom (jus à base de petit mil) à la rupture du jeûne avant de sortir», explique-t-elle. Et de se demander si elle aura assez de force pour pousser sa charrette. Tout de même, dit-elle, l’essentiel est d’avoir eu de l’eau. A la question de savoir quel temps met-elle habituellement pour avoir de l’eau, dame Ouattara rétorque qu’elle a trop trainé, cette fois-ci. «Généralement, quand je quitte l’école à 17 heures, je rentre prendre mes bidons et autour de 19h ou 20h, je retourne à la maison avec de l’eau», dit-elle. Les minutes s’égrènent et la fatigue se fait sentir sur les visages. Malgré tout, la quête d’eau continue jusqu’à ce que les 13 bidons soient pleins.

Fortunes diverses

De l’avis de Adjara Ouattara, son mari, un militaire, l’aide chaque jour en apportant de l’eau du retour du service. «Quand il n’est pas en mission, il m’aide énormément. Actuellement, il est parti en mission pour trois mois. Ça ne sera pas facile, mais je vais me débrouiller», dit-elle. Outre les cours de couture, elle vend des jus pendant le Ramadan. «A ma descente à 12h, je vais chercher l’eau et très souvent, je viens en retard pour suivre les cours de l’après-midi qui débutent à 15h», informe l’élève couturière. Ce n’est pas le cas pour Oumou, qui ne bénéficie pas de soutien. Mère d’un enfant de quatre ans, la ménagère avance que son mari ne lui apporte aucun soutien dans sa quête quotidienne d’eau. Vivant dans sa belle-famille, elle a dû laisser son enfant avec sa grand-mère alors que Adjara, quant à elle, a confié son nourrisson à une voisine. Sur les cinq bidons qu’elle compte remplir, Oumou donnera deux à sa belle-mère. Pour le reste, indique-t-elle, deux bidons seront utilisés pour la consommation et les travaux domestiques. Le dernier bidon servira à abreuver les trois animaux de la famille.

Pour sa part, Adjara Ouattara remplira son fût avec trois bidons, deux pour abreuver ses cinq moutons et le reste pour ses travaux domestiques et la préparation des jus pour son commerce. Il est 22h30 et les deux dames continuent de remplir au fur et à mesure leurs bidons. En dépit de la fatigue, elles comptent rentrer préparer le riz pour le jeûne à 4 heures du matin. Pour le diner, Adjara Ouattara envisage se contenter de bouillie.

«Près de trois mois de calvaire»

C’est le même scénario chez Oumou qui, également, par manque d’eau, n’a pu faire la cuisine. Heureusement pour cette dernière, les membres de sa famille pourront manger le reste du repas de midi. Selon Oumou, les populations de Dori vivent cette pénurie d’eau depuis près de trois mois. Quand l’eau vient, dit-elle, le débit ne tarde pas à faiblir.

La dernière fois que l’eau a coulé du robinet dans leur cour, c’est le mercredi 8 mai 2019. «C’est autour de 22 heures que j’ai entendu l’eau couler du robinet», relate Oumou. Et aussitôt, elle est sortie de son sommeil pour remplir ses récipients. Adjara Ouattara confie que le voisinage a accouru avec seaux et bidons pour se servir jusqu’à 3 heures du matin, car la pénurie est criante au secteur n°4 de Dori. Pour Adjara, la fourniture d’eau par l’Office national de l’eau et de l’assainissement (ONEA) à Dori a toujours été problématique, de février à juin. Selon elle, les années antérieures, l’eau venait tard dans la nuit, et elle passait des nuits blanches pour s’en procurer. «Cette année, c’est pire et nous en souffrons trop à telle enseigne qu’il faut parcourir la ville à la recherche d’eau, de jour comme de nuit.

Avec le carême et la chaleur, ce n’est pas facile pour nous les femmes. Souvent, je laisse mes bidons et je cours en classe pour suivre les cours», rapporte-t-elle. Il est 23h18 devant la «Maison blanche», les deux jeunes dames ont chargé sept bidons dans la charrette et comptent lais-ser le reste qu’elles viendront récupérer le lendemain. Malheureusement, au moment de rentrer, la roue gauche de la charrette est endommagée, donc impossible de la pousser. «On n’est pas contente, parce que demain, après le repas du jeûne, on est obligé de venir chercher tous les bidons à moto», se lamente dame Ouattara. Et Oumou de renchérir : «Je ne suis pas très contente parce que j’ai eu l’eau, mais je n’ai pas pu la ramener à la maison».

Souaibou NOMBRE

Snombre29@yahoo.fr

Sidwaya

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