A la faveur de la commémoration de l’an V de l’insurrection populaire, le journal « Le Pays » a réalisé une interview avec l’un des acteurs majeurs de la transition politique au Burkina. Il s’agit de Yacouba Isaac Zida qui a dirigé le Burkina Faso pendant près d’un mois après le départ de Blaise Compaoré en 2014 avant d’occuper le poste de Premier-ministre jusqu’à la fin de la transition. Dans cette interview exclusive, il affirme être « disponible pour mon pays, à condition que cesse cet acharnement inutile ».
« Le Pays » : Que retenez-vous de l’insurrection populaire d’octobre 2014 ?
Yacouba Isaac Zida : Je voudrais saisir de prime abord, cette opportunité pour rendre un hommage aux victimes de l’insurrection et au-delà des victimes, avoir une pensée pour tous ceux et toutes celles qui, d’une manière ou d’une autre, ont souffert les effets dévastateurs de l’insurrection populaire. Permettez-moi d’emprunter une phrase d’une éminente personnalité pour dire que « l’accélération de l’histoire fait souvent défiler les évènements à une allure telle que la maîtrise, par l’homme, des faits, devient impossible, rendant celui-ci artisan de situations non désirées ». C’est pourquoi, étant moi-même transformé, devenu un homme politique entre un soir et un matin et indépendamment de ma volonté, j’ai dû agir pour circonscrire les dégâts au sein des populations, éviter les affrontements fratricides au sein de notre armée. Avec la bénédiction de tous, j’ai accepté d’accompagner un processus transitionnel pour lequel rien ne semblait garantir un succès quelconque. Au soir des élections couplées du 29 novembre 2015, j’ai eu l’occasion de rendre un hommage à notre peuple et je ne cesserai de dire que ce qui a été fait, a été possible parce que nous étions soudés et qu’au-delà de nos clivages, nous avions une ambition commune qui était de réussir cette transition, conscients que c’est ce qu’il y avait de mieux pour le Burkina Faso.
Quelle a été la décision la plus difficile à prendre au cours des événements ?
Il y a plusieurs décisions difficiles que nous avons eu à prendre pendant la transition et notamment au cours de certains évènements. Mais gouverner consiste à 80%, en la prise de décisions qui peuvent être moins difficiles, difficiles ou très difficiles. La plus difficile que je ne souhaite d’ailleurs plus jamais avoir à prendre, c’est celle que nous avons prise le vendredi 25 septembre 2015 à 13h. Nous venions alors de terminer notre premier Conseil des ministres d’après-putsch et, c’est lors de ce Conseil que nous avons dissous le RSP (Régiment de sécurité présidentielle). Le président Michel Kafando et moi-même étions dans mon bureau au Premier ministère où avait eu lieu le conseil, et nous échangions sur la suite des évènements. Je rappelle que le RSP venait d’être dissous mais était retranché dans sa caserne avec tout ce dont il disposait comme moyens. Nous avons longuement échangé avec le président Kafando et finalement, nous sommes convenus qu’il ne nous restait qu’une seule option possible, à savoir donner l’ordre pour un assaut sur le camp Naaba Koom. Il était absolument hors de question, pour nous, de laisser le peuple être soumis à d’éventuelles nouvelles violences de la part de qui que ce soit. Nous avons donc fait venir le chef d’état-major qui nous a rejoints avec son staff et là, nous lui avons ordonné de déclencher l’offensive.
Ce fut une décision très difficile car, j’ai toujours pensé que la plus grande honte d’une armée, c’est de retourner les armes contre sa propre population ou contre ses propres soldats. Je n’ai jamais cru devoir un jour donner un tel ordre; mais face au déshonneur, ce qui est mal peut devenir libérateur et paraître même honorable. Notre pays était tombé très bas pendant ce coup d’Etat.
Et si c’était à refaire ?
Si c’était à refaire, bien sûr que je déciderais toujours dans l’intérêt de notre peuple.
Cinq ans après l’insurrection, le Burkina Faso connaît une crise sécuritaire sans précédent. Faut-il regretter Blaise Compaoré ?
Je devrais vous renvoyer aux sondages d’opinion qui sont couramment faits, mais puisque vous me demandez un avis personnel, je vais vous dire que sur le plan sécuritaire évidemment, nous regrettons l’époque Compaoré qui était une période de paix, de sécurité et de stabilité. Qui au Burkina peut préférer les présents moments d’incertitude que nous vivons ? Il ne se passe pas un seul jour où il n’y a pas de tueries avec ses cortèges de déplacés. Je salue ici la mémoire des combattants et des civils qui sont tombés et j’exprime ma sympathie aux blessés, aux déplacés et à toutes les victimes de ces attaques terroristes. Je ne veux pas dire que Compaoré était parfait et irréprochable, mais le Burkina Faso, sous lui, se portait nettement mieux. Je vous fais observer que dans l’ordre des responsabilités, la toute première priorité d’un Etat est de protéger ses citoyens, et ensuite, viennent les autres domaines de responsabilités et ça, ce n’est pas valable seulement pour le Burkina, mais pour tous les Etats du monde. Un Etat qui est incapable de protéger ses citoyens, est un Etat non viable. Alors, avec un gouvernement comme celui que vous avez et qui ne peut pas assurer la sécurité des Burkinabè, que faut-il en attendre d’autre? Toute chose, sans la sécurité, n’est que de l’agitation et de la fanfaronnade inutile pour une population que l’ennemi massacre à souhait. Sous Blaise Compaoré, je peux vous assurer qu’il protégeait les Burkinabè de l’intérieur comme de l’extérieur. Et pour répondre à votre question, je dis oui, car regretter Blaise Compaoré comparativement à Roch Kaboré, c’est une simple question de bon sens.
« Il s’agit de ma première interview depuis longtemps avec un organe de presse national, et ça ne fait que commencer »
Selon vous, comment doit-on gérer le dossier de l’insurrection populaire ?
Je suggère que pour le dossier de l’insurrection populaire, l’on considère tout le peuple burkinabè comme victime et à la fois responsable. Une insurrection est un effet de masse et jamais, on ne poursuit un peuple. La faute pénale sur les victimes ainsi que la responsabilité civile des dommages causés, relèvent toutes de l’insurrection populaire. Maintenant, si l’on veut absolument des individus à blâmer pour le compte de l’histoire, on peut indexer ceux qui sont à l’origine de cette insurrection populaire, à savoir ceux qui ont créé les conditions favorables à l’insurrection populaire. Je citerai ici les auteurs du projet de modification de l’article 37 de la Constitution d’une part et d’autre part, ceux qui ont décidé, lors d’un bureau politique national, de monter à l’assaut des Forces de défense et de sécurité et d’incendier l’Assemblée nationale. Il s’agit donc de responsabilités politiques qui peuvent être amnistiées et ce ne sera pas la première fois que cela va arriver dans notre pays. Il est absurde de camper sur le droit pénal pour chercher à résoudre une situation ab normale comme s’il ne s’agissait pas d’un cas courant. Combien de fois avons-nous des insurrections chaque décennie au Burkina et dans le monde? Il faut tout mettre en œuvre pour parvenir à la paix sociale qui, du reste, est le but poursuivi à long terme par le droit pénal. Lorsque le contexte sociopolitique l’exige et sans que cela soit une prime à l’impunité, un gouvernement responsable dispose de moyens constitutionnels pour remettre la Nation en marche. Ceux qui ont la lourde charge de nous gouverner, doivent demander à Paul Kagamé comment il a fait pour que le peuple du Rwanda transcende ses différends pour hisser son pays au rang africain qui suscite l’admiration de tous. La Nation burkinabè est embourbée et les ressorts habituels semblent compromis. Il faut faire appel à toute la Nation pour sortir le pays de la situation chaotique.
Un mot en guise de conclusion ?
Il n’y a pas de conclusion dans une introduction, puisqu’il s’agit de ma première interview depuis longtemps avec un organe de presse national, et ça ne fait que commencer. Je vous remercie sur ce, d’avoir sollicité mon intervention à l’occasion des cinq années de l’insurrection populaire. J’espère surtout qu’à l’occasion de cette commémoration, nous, Burkinabè, au-delà du devoir de mémoire, allons pousser la réflexion sur le chemin parcouru jusqu’ici, et allons surtout, pour l’amour pour ce pays que nous ont légué nos pères et par souci de garantir à nos enfants une vie meilleure dans un pays de paix, agir dans le sens de bâtir un Burkina meilleur. A l’attention du président Kaboré, je voudrais lui dire que je suis disponible pour mon pays, à condition que cesse cet acharnement inutile. Je n’ai pas fait le vœu d’être président du Faso, mais, par contre, j’ai prêté serment, genou à terre, pour servir le Burkina quoi qu’il m’en coûte, un certain 1er novembre 1996 et lui-même présidait cette cérémonie à la Place de la révolution en sa qualité de Premier ministre; c’est là, tout le sens de mon combat.
Je prie que Dieu bénisse le Burkina Faso et les Burkinabè.
« Le Pays »
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