Le candidat à la présidentielle tunisienne Nabil Karoui a été accueilli en héros mercredi soir à sa sortie de prison, un coup de théâtre à quatre jours du second tour qui l’oppose au juriste indépendant Kais Saied.
Cette libération a éclipsé la publication attendue des résultats des législatives de dimanche, qui devraient confirmer un Parlement morcelé, avec une victoire en demi-teinte du parti d’inspiration islamiste Ennahdha.
Habillé de noir, M. Karoui a quitté dans la soirée la prison de la Mornaguia, à 20 km de Tunis, entouré de nombreux membres des forces de l’ordre, repoussant une foule compacte voulant l’approcher. Ses partisans l’ont porté sur leurs épaules avant qu’il ne quitte les lieux, en Mercedes noire, sans faire de déclaration.
Homme d’affaires et des médias, M. Karoui était détenu depuis le 23 août —dix jours avant le début de la campagne pour le premier tour de l‘élection présidentielle— une arrestation qu’il a qualifiée de politique.
La Cour de Cassation a décidé mercredi de libérer M. Karoui, qui reste inculpé de fraude fiscale et blanchiment d’argent.
“Le mandat de dépôt contre Nabil Karoui est annulé, l’enquête se poursuit, mais il est libre”, a indiqué un de ses avocats, Me Nazih Souei.
Toutes les demandes de remise en liberté avaient jusque-là été rejetées, et les avocats de M. Karoui avaient déposé mardi un recours pour exiger le report du scrutin de dimanche, jusqu‘à ce qu’il puisse sortir de prison pour faire campagne.
M. Karoui avait récolté 15,58% des voix au premier tour de la présidentielle, derrière le juriste Kais Saied, 18,4%.
Parlement morcelé
Le parti fondé par M. Karoui il y a six mois, Qalb Tounes, s’annonce deuxième aux législatives de dimanche.
Les premières estimations sur les résultats des législatives convergent vers une nette avance du parti d’inspiration islamiste Ennahdha, qui devrait être chargé de former le gouvernement, une tâche compliquée étant donné le morcellement du Parlement.
Les tractations entre les partis ont démarré dès la publication dimanche soir de sondages donnant la mesure de l‘éparpillement des suffrages pour ces législatives coincées entre deux tours de la présidentielle.
Avec une cinquantaine de sièges sur les 217 que compte l’Assemblée des représentants du peuple, Ennahdha devrait rester le principal parti du Parlement.
Mais il est loin des 89 sièges obtenus en 2011, et des 68 dans l’Assemblée sortante. En outre, contrairement à 2014, vu la fragmentation des forces, il lui sera difficile de trouver un partenaire de poids pour former une coalition gouvernementale, nécessitant 109 voix.
Jeux d’alliances
Son rival Qalb Tounes (“Coeur de la Tunisie”) est donné deuxième. Reste à savoir la solidité de ce parti fondé autour de la personne de M. Karoui. Le parti “va-t-il survivre longtemps ou sera-t-il victime de ses contradictions”, s’interroge l’ex-député Sélim Ben Abdesselem.
Le parti social-démocrate Attayar (“Courant démocrate”) et le mouvement islamo-populiste Karama auraient obtenu chacun une vingtaine de sièges. Les suivants détiendraient moins de 20 sièges chacun.
Pour atteindre une majorité, Ennahdha devra faire des concessions. Les interrogations vont bon train sur une éventuelle alliance avec Qalb Tounes, en dépit de ses promesses de ne pas s’allier à eux.
La solution d’un gouvernement de technocrates est également évoquée par nombre de commentateurs politiques, d’autant qu’Ennahdha a gardé un souvenir cuisant de l‘échec de sa première expérience à la tête d’un gouvernement en 2011-13.
Pour le quotidien tunisien La Presse, “la possibilité de voir échouer toutes les tentatives de formation du prochain gouvernement n’est pas à écarter”.
Mais “les partis n’ont pas intérêt à aller vers des élections anticipées”, estime Selim Kharrat, de l’ONG Al Bawsala, pariant qu’“ils vont gagner en pragmatisme”.
Pour M. Ben Abdesselem, à défaut de majorité confortable pour légiférer, “le scénario d‘élections anticipées dans les quatre à six mois n’est pas à écarter”.
“L’instabilité politique risque d’augmenter l’attentisme des partenaires de la Tunisie”, avertit M. Ben Abdesselem, alors que la Tunisie est sous perfusion du Fonds monétaire international, qui a accordé en 2016 un prêt de 2,4 milliards d’euros sur quatre ans.
AFP
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