Le milieu du travail au Burkina Faso comporte des exigences vicieuses. Des faveurs sexuelles sont souvent exigées pour décrocher et préserver son emploi. La pratique est en passe de devenir un fait banal aussi bien dans l’administration publique que privée. Les victimes sont des femmes, mais des hommes en font quelquefois les frais.
C’est avec beaucoup d’appréhension que les victimes du harcèlement au travail au Burkina Faso témoignent, bien souvent, sous anonymat. Alimata Sawadogo (nom d’emprunt), âgée d’une trentaine d’années, a servi comme secrétaire de direction dans une entreprise privée à Bobo Dioulasso (350 km à l’Ouest de la capitale Ouagadougou). Quelques mois après, se souvient-elle, elle a rendu sa démission, pour fuir son employeur qui tenait coûte que coûte à «découvrir ce qu’elle cache sous ses dessous».
«Mon patron avait commencé à m’appeler en dehors du cadre du travail, les weekends, souvent très tard dans la nuit. J’avais peur (de le décevoir, ndlr) et je décrochais. Mais avec la multiplication des coups de fil et souvent sans objet, j’ai décidé de ne plus répondre. C’était le début de mon calvaire. C’est alors qu’il a commencé à me persécuter au bureau. Désormais, il me demandait à la fois une chose et son contraire», relate-t-elle d’un air affligé.
Madame Sawadogo se souvient que son patron d’alors, déterminé à coucher avec elle, avait fini par perdre patience et lui a lancé des propos du genre «depuis que tu travailles ici, est-ce que j’ai une fois vu tes cuisses. Je ne sais pas si tu es une fille ou un garçon». C’en était trop pour Mme Sawadogo qui a pris ses responsabilités. «J’ai démissionné car je ne voulais pas offrir mon corps en contrepartie de quoi que ce soit», confie-t-elle.
«On en fait plus que le bonjour»
Etudiante à Ouagadougou, Affi (nom d’emprunt), lors d’un stage pratique dans un service de régulation a été approchée par un sexagénaire. «Il m’a proposé de m’intégrer comme assistante du directeur, à condition qu’il dispose de mon corps comme bon lui semble», raconte l’étudiante qui a refusé le troc en jeu.
Blandine Kafando (nom d’emprunt) est journaliste de profession résidant dans la capitale. Elle a souffert du comportement peu convenu, selon elle, de ses collaborateurs. «On dit que c’est un bonjour, mais on en fait plus que le bonjour ; d’autres même veulent t’embrasser de force», se plaint la journaliste.
Elle dénonce aussi l’attitude de certains hommes qui s’imaginent que les missions de travail en compagnie de leurs collègues femmes, sont des occasions pour coucher avec elles. Pour sa part, Mme Kafando a pris une décision catégorique : «Je refuse les missions à cause de cet état de fait».
Le constat de la journaliste Blandine sur le sujet, c’est qu’«au Burkina, le harcèlement est un sujet banalisé». Et ce, en dépit des textes.Papou (nom d’emprunt), un jeune de 30 ans, partage le même avis. Chauffeur au service de la responsable de projets et programmes d’une ONG, il a cédé aux menaces de licenciement proféré par sa patronne. Celle-ci racontait qu’elle avait déjà renvoyé un chauffeur sur la base d’un faux rapport. Et depuis lors, raconte Papou, «lorsqu’on part en mission, j’ai l’obligation de passer mes nuits avec elle».
Peu de victimes font appel au tribunal
Le code du travail du Burkina considère le harcèlement comme un délit passible de peines de prison et précise qu’il consiste à obtenir d’autrui par ordre, parole, intimidation, acte, geste, menace ou contrainte, des faveurs de nature sexuelle.
Ce code, adopté en 2008, est présenté comme favorable aux victimes, de l’avis des spécialistes dans la mesure où la charge de la preuve est inversée. «Si vous êtes victimes et que vous arrivez à donner les indices au Tribunal, il appartient à l’autre de prouver que les faits ne sont pas réels», rappelle Valérie Bonkoungou/Saouadogo, présidente du Tribunal du travail de Ouagadougou.
Malgré l’ampleur du phénomène au Burkina Faso, les dénonciations sont rares. Et cela pour diverses raisons. Il y a la peur du renvoi, le fait que le sujet soit encore tabou sous nos cieux et la difficulté de réunir des preuves. Dans le Code du travail, la preuve peut être une photographie, un enregistrement, des SMS, des conversations téléphoniques contenant des propositions indécentes et des mots osés. Il y a aussi l’apport des témoins, selon Me Oumarou Ouédraogo, Avocat à la Cour. Mais l’avocat précise que les témoins qui sont souvent des employés, sont réticents par peur d’être licenciés.
D’ailleurs, en cas de procès pour harcèlement, le tribunal préfère ne pas recourir aux témoignages afin de «ne pas exposer ces personnes à la réprimande de l’employeur, sauf s’ils décident de le faire librement», a révélé la présidente du tribunal de travail, Valérie Bonkoungou.
D’autre part, le regard de la société pourrait amener certaines victimes à se résigner comme le suggère l’avocat Oumarou Ouédraogo. Selon lui, dénoncer un harcèlement sexuel fait de vous un objet de curiosité si vous êtes une jeune fille. Et quand vous êtes une femme mariée, c’est encore plus compliqué, car vous ne saurez jamais la réaction du mari.
La juge Bonkoungou aussi s’interroge: «Je ne sais pas si c’est la pudeur ou la peur de se voir réprimer qui fait que les langues ne se délient pas aussi facilement sur le sujet».
Au-delà des questions de mœurs, le silence des victimes, de l’avis de l’Inspecteur du travail, Hahandou Kaboré en service à l’Inspection du travail du centre, explique. Selon lui, si une victime porte plainte contre son patron pour harcèlement, la probabilité pour qu’elle se fasse embauchée dans une autre entreprise est moindre. «Un jour, il y a une employée qui a dénoncé son patron et il a eu à dire que nous sommes tous à Ouagadougou. Donc des menaces à peine voilées». En plus, poursuit l’Inspecteur, «les chefs d’entreprises travaillent en réseautage et ils communiquent entre eux. Et quand vous voulez postuler à un emploi et qu’on vous demande une lettre de recommandation ou de justifier votre expérience professionnelle, il se peut que vous ayez besoin de la signature de votre ancien patron».
Malgré tout, Me Ouédraogo invite les victimes à s’assumer et à dénoncer les faits de harcèlement. A cet effet, il a rassuré que les audiences pour les dossiers liés au harcèlement se tiennent généralement à huis-clos. N’y prennent part que la victime, l’accusé, les témoins et les avocats. Ce huis-clos, de son avis, permet de garantir la confidentialité des débats, selon lui.
Agence d’information du Burkina
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