Médias et gouvernance : l’heure des minorités ?

La physionomie présente du monde et plus particulièrement du continent africain laisse les observateurs les plus avertis, interrogateurs sur le devenir de l’humanité. En effet, les dernières pages de l’actualité des dix années passées ont été fournies en événements les plus rocambolesques, les uns par rapport aux autres.

Dans les faits, une dynamique particulière semble s’être emparée de la marche de l’humanité toute entière, sans que l’on ne sache ses raisons réelles, ni la source motrice qui l’entraîne. Entre autre événements des plus inattendus, il est à signaler en bonne place, la crise financière internationale, les révolutions arabes de 2011, la chute du guide suprême de la révolution libyenne, Mohamar Kaddafi, la recrudescence du terrorisme et l’ouverture de nouveaux fronts en Afrique subsaharienne, particulièrement au Mali en 2012.

Plus récemment, en février 2013, l’autorisation du mariage homosexuel en France, fille aînée de l’église catholique et la démission du Pape Bénoît XVI, chose étrange, car seconde du genre et intervenant près de 6 siècles après le premier.

Une actualité qui confirme si besoin en était, le bouleversement de l’ordre social établi depuis belle lurette. Mais aussi, une crise véritable de la gouvernance à tous les niveaux. Faut-il donc parler de nouvel ordre ou de nouveau désordre à l’échelle de la planète ?

Toujours est-il que les signes présents n’augurent point de lendemains rassurants. Car, l’expérience du 11 septembre 2001 vécu par les Etats Unis montre que tout, à tout moment peut basculer.

Comment donc expliquer cette fragilisation de l’équilibre planétaire ? Le changement social actuel peut-il être lié à un phénomène spécifique ? La révolution médiatique marquée par le développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication peut-elle être exemptée de tout soupçon ? Quelle formule de gouvernance pour les pays africains, dans ce monde en pleine mutation ?

Les médias comme amplificateurs de pouvoir

Cette spécificité propre aux médias de conférer un pouvoir certain à celui qui les détient, remonte aux temps immémoriaux de notre histoire commune. Pour s’en convaincre, il suffit de revisiter le répertoire des adages africains pour en extraire ceci : « un chef n’est rien sans son griot ».

Les médias, représentant les griots modernes, on peut aisément deviner l’ampleur du pouvoir qui est le leur. Napoléon Bonaparte, l’un des plus grands bourreaux de la liberté de la presse en France, après s’en être servi comme raccourcit pour accéder au pouvoir, a soutenu ceci : « Un micro porte plus loin que le canon d’un fusil et peut faire plus de mal que cent milles soldats en campagne ». C’est dire que le pouvoir détenu par les médias est incommensurable. 
Ce dernier s’est vu démultiplié, avec les évolutions récentes des appareils médiatiques. Aussi, le développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication s’est accompagné d’une reconfiguration des modes de production et de diffusion de l’information.

Désormais, le monopole de la production et de la diffusion de l’information n’est plus du ressort des seuls professionnels de la communication. En effet, vu les nombreuses opportunités qu’offrent les nouvelles technologies, n’importe qui peut à n’importe quel moment produire et diffuser du contenu informationnel, en toute discrétion.

Il en résulte par voie de conséquence, comme un délitement de la souveraineté et du pouvoir des Etats. Car, ne dit-on pas que l’information, c’est le pouvoir ? Pourtant, jusqu’à preuve du contraire, la gestion des espaces hertziens des pays relève de la souveraineté des Etats, en collaboration avec l’Union internationale des télécommunications.

Mais, avec le développement des ntics, la politique de l’autorisation préalable avant toute diffusion d’information semble être rangée aux oubliettes. C’est dire que les autorités étatiques ont perdu une portion non négligeable de leurs prérogatives.

Le hic, est que ces parcelles de pouvoir perdues échoient entre les mains de tout le monde et de personne. La possibilité d’influencer son environnement dans un sens voulu est ainsi a porté de mains de n’importe quel quidam. Nous en voulons pour preuve, la diffusion via le téléphone portable de rumeurs sur la mauvaise qualité de l’eau de l’ONEA, dans les villes de Bobo Dioulasso et Ouagadougou en août 2012, entraînant une psychose au sein des citadins.


Ainsi, la capacité d’induire un changement dans son environnement n’est plus une question de nombre, ni de moyens colossaux, mais de contact. Suivant les possibilités que donnent les réseaux sociaux, une opinion émanant d’une personne isolée peut être partagée de façon instantanée et simultanée à une pléthore d’individus ne partageant pas forcément le même espace géographique.

De ce fait, un fait isolé peut prendre en un clic, une dimension mondiale. Il s’en suit donc une possibilité inimaginable de formatage de l’opinion, à des fins inavouées.

Toute chose qui tend à donner une impression de popularité à certains avis marginaux. Nous en avons pour preuve, les révolutions arabes de 2011, qui ont beaucoup utilisé les réseaux sociaux comme Facebook, pour sonner le rassemblement. Pour jauger l’ampleur de cette nouvelle force transmise aux individus par la révolution médiatique, il faut retourner à ces périodes, où ces outils n’existaient pas dans nos contrées.

Pendant ces temps passés, une information pouvait facilement mettre du temps, avant de transiter d’un village à l’autre. Ce temps mis pouvait faire perdre à cette information sa fraîcheur et par ricochet, sa charge émotive.


Avec la prolifération des réseaux sociaux, de nos jours, l’important n’est plus qu’une opinion donnée soit partagée par la majorité de la population, mais qu’elle fasse sensation, ou en d’autres termes, grand bruit.

Une telle donne suffit à conférer aux opinions les plus fallacieuses, une sorte de légitimation publique en termes d’importance, compte tenu du fait d’être prises en compte dans le débat public, et promu par une poignée d’individus qui ramènent sans cesse, le sujet concerné dans l’actualité. Les possibilités diverses qu’offrent l’outil médiatique à ses contempteurs d’agir sur leur environnement pouvaient-elles laisser le tissu social intact ?

Les médias, véhicules de changement social

François-Henri de Virieu, dans son œuvre intitulée « La médiacratie », ne fait aucunement mystères de l’apport non négligeable des médias dans le changement social. Sans tergiversation, il soutient : « Dans notre société où l’information circule à la vitesse de la lumière, la décision mûrement réfléchie se fait rare. Le changement social s’accélère, prenant de vitesse les décideurs.

Les gouvernements s’usent plus vite : L’instantanéité des communications a tellement télescopé le temps, écrit l’américain Richard Reeves, qu’une présidence de quatre ans produit aujourd’hui plus d’évènements, de difficultés et d’informations que n’en produisait autrefois une présidence de huit ans ». 
Denis Huisman semble corroborer à son tour cet avis de François-Henri de Virieu, dans son ouvrage titré, « L’âge du faire pour une morale de la communication », où il souligne à la page 66 : « L’être humain, après avoir été dirigé par la tradition, puis par sa conscience individuelle, est désormais dominé par des forces extérieurs dont nous savons que ce sont les messages médiatiques ou, plus précisément, les techniques de leur production et de leur diffusion.

Verticalement, ce qui est en jeu, c’est la liberté spirituelle des individus. Horizontalement, ce qui est en question, c’est la survie des cultures multiples qui ont jusqu’à maintenant constitué la richesse vivante de l’humanité. Selon cette deuxième dimension, il est facile d’observer que les mêmes modèles, issus d’un occident partiellement déculturé, gagnent de plus en plus toutes les populations du monde. »


Comme on peut le constater à la lumière de ces deux citations, les choses sont désormais claires, l’influence du développement des médias sur la gouvernance et la société est indéniable. En réalité, la facilité de production et de diffusion de l’information a engendré une nouvelle donne dans les rapports entre gouvernants et gouvernés, dans l’espace spatio-temporel.

Dans les faits, les responsables revêtus de l’autorité étatique font désormais face à des citoyens nouveaux, parés d’une petite parcelle de pouvoir, à travers les différentes opportunités que leur offrent les nouvelles technologies de l’information et de la communication (ntics).

Dans une telle circonstance, il ne convient plus de parler du pouvoir au singulier, mais des pouvoirs, au pluriel. Une illustration parfaite des effets pervers de cette situation est la divulgation discrète de certains dossiers classés top secrets par le Vatican, alors que la personne du traître se trouvait être son major d’homme, c’est-à-dire l’une des personnes en qui il devrait le plus faire confiance, après lui-même. La dynamique de changement permanent à laquelle le monde se trouve confronté, ne dicte-t-elle pas de nouvelles approches en matière de gouvernance ?


Les nouvelles perspectives de la gouvernance à l’heure des réseaux sociaux

Il serait inutile d’épiloguer sur les nouvelles perspectives de la gouvernance à l’heure des réseaux sociaux, sans le faire à la lumière de notre vécu quotidien. La nouvelle donne actuelle, qui a été décrypté ci-dessus par des auteurs bien au fait de la science des médias est claire, la révolution médiatique a engendré une certaine accélération de l’histoire. Si fait que tous ce qui est relatif à la vie en société est sous la menace permanente de l’obsolescence.

En effet, le monde semble être pris dans une folle envie de renouvellement perpétuelle. Une réalité qui nous fait conclure à l’évidence que seule la gouvernance démocratique, accordant une place prépondérante à l’alternance, s’adapte le mieux aux exigences de la nouvelle société marquée par l’emprise des médias. Le contraire entraîne révoltes, contestations et révolutions.
Aussi, la gouvernance actuelle, pour être crédible, doit se baser sur la recherche du consensus public. Les enjeux présents de la gouvernance sont donc clairs, gouverner c’est communiquer et la réalité du pouvoir se trouve aux mains de celui qui se fait écouter le plus. Cet argument peut être soutenu car, les médias qui constituent de fait le réceptacle de notre imaginaire collectif ont eux-mêmes subit des changements. L’information désormais se transmet et se vit en temps réel. Si fait que toute gouvernance doit rester éveillée pour ne pas être prise de cours. 
Néanmoins, une certaine lecture de l’évolution des modes de revendication montre que l’heure est loin d’être au repos. En fait, le temps n’est plus tellement à la constitution de groupes de pressions formelles. D’ailleurs, le nombre est désormais quantité négligeable dans les capacités des groupes de pression.

Ce qui compte en revanche, c’est la possibilité d’influencer un grand nombre. L’heure est à présent à la mobilisation autour d’une situation ponctuelle, souvent motivée par l’émotion. En guise d’exemple, nous avons les manifestations scolaires au Burkina Faso en 2012, suite à la mort de l’élève Justin Zongo.
De même, certaines surprises peuvent également prendre à rebours poil, tout cet arsenal de communication.

Il s’agit de l’absence de prise en compte des aspirations des groupuscules minoritaires. Dans le contexte africain en général et Burkinabé en particulier, ces minorités sociales se recrutent dans les groupes ethnico-culturels, à la différence de l’occident où l’on parle plus de minorités, en termes d’orientation sexuelle, de pouvoir d’achat ou d’idéologie politique.

Vu la spécificité du cas africain, il revient aux gouvernants de compter désormais avec le fait que les minorités ne sont plus des minorités, et que l’individu n’est plus un, mais multiple, car disposant d’un don d’ubiquité que lui confère le développement des ntics. Ainsi, on pourra faire l’économie des conflits confessionnels et politico - identitaires, dont les derniers cas les plus éloquents sont : celui malien, avec la communauté Touareg et les groupuscules Djadhistes, la révolte des anglophones au Cameroun et Boko Aram au Nigéria.

La direction de la communication 
Et des relations publiques du CSC 
Sources :

« L’âge du faire pour une morale de la communication », de Denis Huisman
« La médiacratie », de François Henri de Virieux

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