Loi modificative du code pénal : cette auto-saisine du Conseil Constitutionnel limitait déjà son champ

S’il faut déplorer le caractère pauvre et lacunaire de la motivation de sa décision, il faut tout de même dire que cette auto-saisine du Conseil Constitutionnel limitait déjà son champ à la loi modificative du code pénal, alors que l’essentiel des dispositions querellées se trouvaient déjà, bien en amont, dans le code pénal adopté en 2018.
Voyons: 

Le 1er grief portait sur la formulation dangereusement vague de l’article 312- 11 de la loi modificative qui incrimine et punit la participation à « une entreprise de démoralisation des forces de défense et de sécurité.» C’est vrai, en ne définissant pas les éléments constitutifs de cette infraction, cette disposition viole le principe constitutionnel de prévisibilité juridique et de sécurité juridique, principe dont le but est de prémunir les sujets de droit contre le risque d'arbitraire ou contre une interprétation contraire à la constitution.
Seulement la malheureuse formulation existait déjà dans le nouveau code. Ce n’est pas la loi modificative qui l’a introduite. Comme en 2015 pour l’application de la loi « Shérif », la disposition querellée avait manifestement échappé à la vigilance de la république.
Une définition de l’expression est nécessaire. Nous avons proposé celle-là: « actions coordonnées ou conjonction d’efforts tendant à détruire la confiance ou le courage des FDS, ou à créer le défaitisme. »

Le 2ème reproche à l’encontre de la loi modificative était sa non conformité (du fait qu’elle prévoit des peines d’emprisonnement pour quiconque...) à la loi 057-2015 portant régime juridique de la presse au Burkina Faso dite loi de dépénalisation des délits de presse qui, en fait, supprimait la peine de prison pour les délits de presse. D’abord, ce n’est pas la loi modificative qui introduit ces peines de prison car elles existaient déjà dans le nouveau code pénal (exemple, articles 312-11, 312-13, 361-23, etc.) Ensuite, et c’est l’essentiel, puisqu’il il faut considérer la loi sur la presse comme une loi spéciale ou particulière, elle demeure en dehors du présent code pénal. Alors la loi modificative, malgré ses formulations générales, ne s’applique pas aux journalistes du moins pour ce qui est des sanctions prévues, si bien sûr ceux-ci ont agit es qualité. Et ç’a l’est d’autant que le code pénal n’a pas abrogé les dispositions dépénalisant le délit de presse. Les activistes avaient eu un statut similaire à celui delà presse, ils seraient aussi épargnés.

Le 3ème grief est relatif à l’autorisation préalable introduite à l’article 312-16 pour la publication de « scènes d’infraction de nature terroriste.» Décriée par les organisations professionnelles des médias, le problème réside moins dans l’exigence de l’autorisation préalable (qui n’est pas une invention du Burkina Faso et dont, qui plus est, les modalités seront précisées par décret) que dans l’absence même de définition de la « scène d’infraction de nature terroriste ». La scène en question devrait s’entendre du ou des « lieux où se sont produits un ou des évènements donnant lieu à l’intervention de la police technique ou scientifique ou celle d’un expert en criminalistique, leur état au moment de l’intervention et tout élément physique présent sur ces lieux: butin, preuves, indices, traces... » La « scène », ce n’est donc pas l’événement, mais le lieu où la police établit un périmètre (généralement avec une bande en plastique dite de « gel des lieux ») afin d’éviter la « contamination », c’est à dire la dégradation des preuves, et qui est généralement interdit au public. Mais là aussi, nous pensons que les pénalistes maîtrisent bien ce vocabulaire et donc nul besoin de les définir dans une loi pénale. Disons donc que l’article querellé ne souffre d’aucune ambiguïté qui puisse lui valoir d’être déclaré inconstitutionnel, même si une définition notionnelle n’aurait pas été inutile.

Qu’aurait dû faire alors le Conseil Constitutionnel?
1. S’auto-saisir, au delà de la loi modificative, sur certaines dispositions du code pénal avant sa promulgation. Un travail herculéen, mais qui aurait permit de répondre aux questions de droit qu’ont posé les acteurs professionnels et praticiens du Droit. En fait dans la forme de sa décision, le Conseil Constitutionnel semble plutôt nous expliquer les modifications et opérer un contrôle de conformité entre la loi modificative et le code pénal, qu’un véritable contrôle de constitutionnalité.
2. Se prononcer sur la nature et le quantum des peines prévues (jugées trop sévères), sur la base du principe constitutionnel de la proportionnalité des peines. Ce principe veut que la loi ne fixe que les peines strictement et évidemment nécessaires au but poursuivi.
3. Ne pas se prononcer sur l’opportunité de la réforme: dans son avant-dernier considérant, le Conseil Constitutionnel invoque au soutien de sa décision, le fait que les limitations ont été apportées en « tenant compte du contexte actuel d’insécurité et de la nécessité organiser une réponse adaptée à cette situation. » sur ce point on peut dire que les « «sages » sont « hors sujet » et font acte politique. Parce que non seulement ce n’est pas la question de droit qui était posée, mais surtout parce que le Conseil Constitutionnel n’est pas juge de l’opportunité des lois, mais juge de leur constitutionnalité.

Maintenant que faire?
La loi peut désormais être promulguée par le PF. Mais ce n’est pas perdu. Il faut s’attaquer aux dispositions-sources du code pénal lui même. Le citoyen a toujours la possibilité s’il démontre d’un intérêt, sur le fondement de l’article 157 de la constitution, de demander au Conseil Constitutionnel de se prononcer, de façon direct, ou de façon incidente à l’occasion d’un procès.

Sosthène Ouedraogo

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